Marie France TRISTAN
EXPLORATION DU BAROQUE
           Le XVIIè siècle européen a hérité d’une longue  tradition philosophique et littéraire relative à la problématique du miroir,  une tradition où le néoplatonisme plotinien et ficinien occupe une place  prépondérante. G.B. Marino, comme nombre de ses contemporains, a largement  exploité ce filon thématique, exprimant à travers lui certaines obsessions de  son temps. Mais dans cas, plus encore qu’un sentiment de précarité  existentielle, ce qui est au premier plan de cette intuition spéculaire c’est  l’idée que l’homme est menacé par une vision erronée ou illusoire des choses,  par un vice d’ignorance qui le condamne à un inconfortable agnosticisme. Cet  inconfort et ce doute sans néanmoins compensés par une stupeur émerveillée  devant la faculté qu’ont les miroirs de faire apparaître des mondes nouveaux.  S’ils évoquent déviations et distorsions, chute et disparition dans les  gouffres, ils sont aussi des lieux de théophanie, de conversion, de rédemption  et, comme dans le déchiffrement des anamorphoses, de reconstitution d’une image  originelle provisoirement perdue. Cette double finalité du miroir témoigne de  son ambivalence foncière, au cœur de la relativité généralisée qui caractérise  l’univers marinien.
               Parallèlement à  cette intuition spéculaire le XVIIe siècle a également hérité des  siècles antérieurs, et notamment cette fois du courant scolastique, une  intuition hylémorphique gravitant autour de la dialectique forme / matière, des  images des sceaux et des empreintes, et, par dérivation, du symbolisme des  armes qui pénètrent les substances corporelles, et des outils qui façonnent les  substances matérielles. A priori  intuitions spéculaires et sigillaires n’étaient pas destinées à se  rencontrer : les vestiges et les empreintes, par leur durabilité, par  l’évidence presque tangible de leur visibilité, n’ont rien de l’irréalité et de  la labilité des reflets dans le miroir ; outre leur fonction proprement  représentative, qui leur confère le caractère de la certitude, ils possèdent  une fonction fixatrice et conservatrice qui leur assure le caractère de la  permanence. Sans prendre en compte les innombrables utilisations qui en sont  faites séparément, notre propos sera d’analyser comment chez Marino ces deux  registres, celui du sceau et celui du miroir, en viennent cependant à  s’associer dans un même système de représentation, en particulier dans les  oeuvres de la maturité.
               Dans les Rime de 1602 le sceau et le miroir, bien  que parfois déjà solidaires, sont plutôt juxtaposés que réellement  complémentaires. Si l’on voit fréquemment apparaître le motif courtois du  « cœur peint » ou du « cœur gravé » à l’effigie de l’être  aimé, ceci ne dépasse guère l’inspiration la plus conventionnelle. Dans le  sonnet Del petto mio ne la più nobil  parte, l’image de la dame « sculptée » dans le cœur du poète par  la flèche d’Amour a valeur de « modèle », qui sera imité dans le  portrait écrit que lui-même a l’intention de proposer ; ce portrait,  composé uniquement de caractères d’écriture, aura quant à lui valeur  d’« empreinte » visible laissée par ce sceau intérieur et  invisible ; et l’« impression » sera opérée par cet autre  instrument sigillaire qu’est la « plume » (à la fois plume du poète  et plume des ailes d’Amour) ; seul le dernier tercet se rattache, sinon à  l’image même du miroir, du moins au schème spéculaire, à travers le motif de  l’illumination de l’esprit sous l’effet de l’inspiration, ce qui suggère non  seulement l’habituel isomorphisme entre la flèche, la plume et le rayon (ici le  flambeau d’Amour), mais aussi un glissement du support sigillaire qu’est le  cœur au support spéculaire qu’est l’intelligence créatrice, pour aboutir  finalement, au niveau de la représentation visible, au support sigillaire de la  page écrite et à son symbolisme scripturaire ; ceci donne lieu à une  succession en chaîne de représentations et d’outils représentatifs dont seuls  les termes extrêmes (la dame d’une part, et d’autre part la plume du poète et  la page écrite) appartiennent à une réalité objective, les autres termes  s’inscrivant dans la dimension de l’intériorité affective ou intellective 1.
               Chez Marino,  comme chez beaucoup d’autres poètes de son temps, mais avec une accentuation  particulièrement judicieuse des composants significatifs du discours,  l’interférence du sceau et du miroir trouve également à se manifester à travers  un traitement spécifique de l’élément aquatique. Dans le sonnet Rotte già l’onde da l’ardenti rote, des  phénomènes purement spéculaires sont évoqués à travers la terminologie propre à  la sigillarité : au lever du jour les roues enflammées du soleil ne se  contentent pas d’illuminer les flots, elles les « frappent » et les  « fendent » ; la mer, devenue molle argento, semble plus participer de la malléabilité de la cire  ou d’un métal en fusion, que de la liquidité de l’eau ; quant au passage  de l’état argenté à la dorure, il n’offre pas seulement un effet chromatique,  mais devient travail d’orfèvrerie, auquel s’ajoute la sensation tactile de la  tiédeur, tandis que s’instaure un fondu enchaîné entre les vibrations  lumineuses et les rides qui se forment à la surface de l’eau 2.
               De façon assez  voisine, dans certaines marines nocturnes, la réflexion lumineuse sur la  surface aquatique s’accompagne de la sigillarité nautique de la barque qui  sillonne les flots, et des rames qui en pénètrent la profondeur, avec dans  certains cas une insistance complaisante sur l’idée de violation d’un lieu  clos, voire d’un lieu interdit, à connotation explicitement féminine 3 ;  mais le reflet dans l’eau, prolongé par l’habituelle confusion / inversion  entre ciel et mer, peut aussi se présenter sous l’aspect d’un original  « bain de Diane » lorsqu’à la simple réflexion de la lune dans l’eau  se substitue le motif, à dominante sigillaire, de l’immersion 4 ;  cette immersion, du reste, peut parfois n’être que partielle, pour peu que les  personnages ne plongent dans l’eau que leur visage pour se rafraîchir, ou n’y  portent que leurs lèvres pour se désaltérer, créant alors un effet de  complémentarité inverse entre immersion et nutrition 5 ;  dans tous les cas le schème sigillaire de la pénétration dans la substance  liquide matérialise en quelque sorte le schème spéculaire de  l’autocontemplation dans le miroir des eaux, concrétisant par là même  l’isomorphisme existant entre « l’eau où l’on se mire » et  « l’eau où l’on se baigne », comme ailleurs, à travers le motif des  eaux qui dévorent le feu ou les personnages solaires, « l’eau où l’on se  noie ».
               Douze ans plus  tard, dans la Lira de 1614, si  l’association du sceau et du miroir n’a guère évolué, elle présente néanmoins  des résonances nouvelles, comme par exemple dans le sonnet E’ sogno, o ver, où la spécularité onirique qui permet au poète,  sur l’écran de l’imagination, de contempler en songe l’image de sa dame se  résout en sigillarité tactile, non pas fictive mais réelle puisque réellement  ressentie, entre le rêveur et l’image qu’il projette 6 ;  ou encore dans cette évocation d’un enfant jouant au ballon, dans laquelle  Marino, partant d’une banale allusion à l’éclat du regard, glisse vers une  intuition mi spéculaire mi sigillaire en faisant simultanément de la main et du  pied des instruments qui lancent ou qui frappent, pour s’attarder finalement  sur la pure sigillarité de la percussion à travers le mouvement rythmique de la  balle qui bondit et rebondit, avec un effet de grossissement hyperbolique qui  confère à la scène un caractère cosmique 7.
               C’est toutefois  dans les poésies d’inspiration religieuse que la complémentarité du sceau et du  miroir tend à se systématiser. Dans le sonnet Simulacro divino, unica stampa, l’homme imago Dei est qualifié concomitamment d’« unique empreinte  d’immortelle beauté » et d’« ouvrage majeur du grand pinceau de  Dieu » 8.  Le sonnet Chiuso fra densi e nubilosi  veli, qui porte sur le thème du Deus  absconditus caché aux yeux des mortels derrière les nuées de l’inconnaissable,  est d’autant plus intéressant que le même sujet avait déjà été traité dans les Rime de 1602, ce qui permet de mesurer  l’évolution de la sensibilité de l’Auteur dans l’intervalle : tandis que  dans le texte de 1602 l’évocation se concluait, à travers la dialectique de  l’occultation et de la révélation, par une simple célébration de la  « docte ignorance » 9,  le sonnet de 1614 ne se limite pas à ce clair-obscur cognitif ; l’accent y  est mis sur la révélation indirecte du divin à travers les créatures, lesquelles  sont désignées à la fois comme les « vestiges » (traccia) laissés ici-bas par les pas de la divinité, et comme des  « miroirs » (specchi) qui,  même s’ils signalent la lumière divine et en signalent la présence, ne  désignent toutefois que des images in  aenigmate nécessitant un ultérieur déchiffrement ; après quoi il  oppose cette vision « de dos », indirecte et imparfaite, à une vision  plénière et « face à face » 10,  dont il dira ailleurs qu’elle ne peut advenir qu’in Cristo, à travers la révélation néo-testamentaire et l’œuvre de  Rédemption. Il est vraisemblable, au demeurant, que dans l’esprit de Marino la  distinction entre ces deux types de vision soit en affinité avec le complexe  iconologique mille fois exploité du miroir et de son tain : du miroir où  se réfléchissent les images, et du tain qui serait le « dos » du  miroir, son arrière-plan hylique, sur lequel se fixent des traces plus  concrètes et plus durables, mais aussi plus grossières.
               C’est dans la  même année 1614 que Marino publia ses Dicerie  sacre (ou « Discours sacrés »), trois traités de longueur inégale  (le Cielo, la Musica et la Pittura)  conçus dans le style des prédicateurs de son temps, et principalement inspirés  - en tout cas les deux derniers – par la Kabbale chrétienne de georges de Venise  et par la littérature de l’Hexaméron. Dans le Cielo, le plus ancien,  écrit probablement entre 1609 et 1610, le schème spéculaire / sigillaire jumelé  est presque inexistant, si ce n’est dans un bref passage traitant des  influences astrologiques en des termes qui tendent à confirmer l’homologie  entre le complexe symbolique du tain et du miroir et le double registre  spéculaire / sigillaire : de même, dit Marino, qu’un verre transparent est  traversé par des rais de lumière, de même les influences astrales traversent  les trois régions élémentaires qui entourent le globe terretre à la façon de  trois couches spéculaires emboîtées, à savoir le « corps diaphane »  du feu , le « corps transparent » de l’air, et le « corps  liquide » de l’eau, avant de se heurter à l’opacité de la terre - en  quelque sorte au tain de ces miroirs - , et d’y pénétrer, de s’y fixer comme  sur leur ultime fondement 11. 
               Dans le traité  de la Musica, sans doute écrit pour l’essentiel entre 1607 et 1612, on  rencontre, à propos du phénomène de l’émission / réception auditive, un passage  associant les images du « sceau », de la « plume » et du  « pinceau », pour évoquer d’abord l’extériorisation des pensées du  locuteur sous forme de « caractères » conceptuels et de  « peinture » intellective, puis l’« impression » de ces  caractères et de cette peinture dans l’esprit de l’auditeur par le biais de  l’appareil auditif 12,  avant que le même processus se reproduise en sens inverse dans une alternance  là encore rythmique entre émission et réception. Mais de la Musica on  retiendra surtout, pour notre propos, la séquence où, s’agissant du phénomène  de l’écho et de la propagation de la voix, Marino conçoit la communication  verbale comme un échange entre deux « cavernes » qui, se faisant  face, tourneraient l’une vers l’autre leur partie concave  en jouant un  rôle alternativement émetteur et récepteur : d’une part la bouche du  locuteur, d’autre part l’oreille de l’auditeur ; l’une et l’autre, est-il  précisé, envoient et renvoient le son à la façon d’une surface solide sur  laquelle rebondit un ballon, ou d’un miroir où se réfléchissent des images 13,  autrement dit, une fois de plus, selon le double registre spéculaire et  sigillaire. Ici le speco (le specum latin) semble se confondre avec le specchio (le speculum), car la caverne, qu’elle soit lieu paysager tapissé d’un  voile d’humidité, ou lieu anatomique (en l’occurrence la bouche et la cavité  auriculaire), est bien à la réflexion sonore ce qu’est le tain du miroir à la  réflexion lumineuse, ou la cavité de l’orbite, autour de la sphère transparente  de l’œil, au mécanisme de la vision 14. 
               Mais c’est dans  le troisième discours, celui de la Pittura – écrit plus tardivement que  les deux autres (probablement en 1613) malgré sa position en tête des Dicerie - , puis dans le grand poème de  l’Adone publié en 1623, que  l’association du sceau et du miroir prend toute son extension. À l’occasion de  l’énumération des autoportraits que Dieu, en tant que Deus pictor, aurait réalisés à travers ses créatures, depuis le  monde sensible jusqu'à ce que l’Auteur nomme le Monde archétype, en passant par  le monde intelligible (identifié au monde angélique), le soleil est qualifié de  « miroir et de sceau de la Nature » 15. 
               Un peu plus  loin, à propos de l’homme imago Dei,  c’est la création même de l’homme qui est placée beaucoup plus nettement encore  sous le double signe du sceau  et du miroir : Dieu, dit  Marino, a créé l’homme pour se rendre visible aux yeux des créatures, et cela à  la fois par voie picturale et spéculaire « comme sur un tableau », et  par voie sculpturale et sigillaire « comme dans une statue » 16,  et « il y fixa son image de façon si indélébile qu’il est impossible de  l’arracher ou de l’effacer sans dégrader tout l’édifice » 17.  Il en va ainsi non seulement pour le corps de l’homme, mais aussi pour son  âme : celle-ci est comparée à une pierre précieuse qui serait enchâssée  dans le corps comme dans un anneau, et sur laquelle Dieu, devenu orfèvre,  aurait gravé son image  18.  C’est toutefois la spécularité de l’âme miroir, ou du moins une approche où  spécularité et sigillarité sont étroitement mêlées, qui tend à l’emporter sur  le traitement sigillaire : l’âme, en effet, est également comparée à  « une pierre transparente tapissant de l’intérieur toute l’architecture  corporelle », et il est dit que Dieu, « se contemple dans ce miroir  très pur », et « prend plaisir à y laisser l’empreinte de son  image » 19 ;  cette interférence, au moins terminologique, entre image reflétée et image  imprimée, laisse supposer que cet acte d’autocontemplation divine ne pourrait  se réaliser sans la présence du support corporel, lequel, en définitive, ne  ferait pas seulement figure de tain du miroir de l’âme, mais serait aussi, par  dérivation, un instrument potentiel de concrétisation de cette image dans une  sorte d’au-delà du miroir qui ne ferait qu’un avec les réalités du monde  sensible 20.
               Au chant XI de  l’Adone, de façon similaire, après  avoir établi une identité entre la lumière qui émane de l’âme contemplative  (figurée par le Ciel de Vénus) et celle qui émane du regard d’Adonis (en sa  qualité de prototype de l’être humain), Marino déclare que cette lumière est à  la fois « miroir de Dieu  qui en elle se contemple » et « empreinte immortelle déposée par ce sceau que le Créateur  grava à sa ressemblance » 21.  La problématique est la même que dans les passages de la Pittura cités  précédemment, si ce n’est qu’on voit en outre se dessiner, à partir de la  distinction entre le sceau et le miroir, une complémentarité entre le Dieu  d’avant la création, qui ne serait concerné que par la pure émanation lumineuse  accomplie par voie spéculaire,  et qui ne verrait rien d’autre que son image  reflétée dans les profondeurs de l’âme -   parce que de ce point de vue-là il n’y aurait rien d’autre à voir - , et  d’autre part le Dieu créateur (le Fattore),  celui qui par voie sigillaire,  non plus directement mais par l’intermédiaire d’un sceau et, qui plus est, d’un  sceau non plus gravé à son « image » mais à sa  « ressemblance » 22 conformément à la fameuse distinction établie dans le texte de la Genèse, aurait  laissé de lui-même une trace concrète et visible dans le corps du monde et la  chair des créatures. On peut dès lors se demander si  entre miroir et sceau, image et ressemblance, émanation et  création, ne se situe pas aussi l’opposition entre la vision « de  face » et la vision « de dos » à laquelle nous faisions allusion  plus haut. 
               Pour Marino seul  l’homme – de façon virtuelle tout homme, et de façon effective l’homme régénéré  dans le Christ – est un portrait de la « face » de Dieu, là où les  autres créatures ne seraient qu’une représentation de son « dos » 23 ;  ces dernières, dit-il, ont en effet été créées simultanément dans leur corps et  dans leur âme, tandis que l’homme a d’abord été créé dans son corps, et n’a  reçu que dans un second temps, conformément là encore au texte de la Genèse, l’insufflation de l’âme 24,  une âme pure, par conséquent, de toute contamination par le monde des  créatures. Marino tirera parti de cet argument non seulement pour souligner la  supériorité de l’homme sur les anges sous ce rapport mais surtout pour insister  sur le fait que seul l’homme participe de la double nature du Christ, à la fois  créé dans son humanité et son corps mortel, et fruit d’émanation dans sa nature  divine.
               Dans le même traité de la Pittura,  après avoir présenté l’homme imago Dei dans son corps et dans son âme, Marino poursuit son énumération des  « portraits » de Dieu en s’élevant par degrés jusqu’au Monde  archétype. Transgressant alors les limites que se sont généralement imposées  les autres « poètes de la création », il pénètre finalement dans  l’enceinte du Mystère trinitaire : là il évoque l’autocontemplation de  Dieu dans ce qu’il appelle le « Miroir très pur de son essence »,  autocontemplation par laquelle, « de toute éternité, avec le pinceau de son intellect  productif et fécond, (le Père) en vint à se représenter lui-même, ou plutôt […]  à se reproduire à l’identique et à former (pour ainsi dire) un autre soi,  lequel ne fut autre que le Verbe éternel » 25. Or le caractère  exclusivement spéculaire de cette scène, dans laquelle il est difficile de ne  pas voir la désignation du modèle archétypal de ce qui allait devenir  ultérieurement l’autocontemplation divine dans le miroir de l’âme, est à son  tour complété par l’immanquable connotation sigillaire attachée à la présence  d’un tain de ce Miroir, sous l’aspect cette fois du Chaos primordial: car,  ajoute Marino, la génération du Verbe s’accomplit « au sein de […] cette  masse indistincte et confuse qui a pour nom le Chaos » 26   Certes le Chaos en tant que tel n’entre pour rien dans cette génération divine  puisque le Verbe, comme l’Auteur le souligne expressément, est incréé et  appartient au non temps et à la non manifestation divine, ce qui fait de lui le  seul « portrait » de Dieu dont la perfection soit absolue ; c’est  seulement dans une phase postérieure, lors du passage de l’acte théogonique à  l’acte cosmogonique, autrement dit lors de la création du monde, que le Chaos  commence à jouer son rôle d’« antique pépinière de toute chose », en  d’autres termes  de materia prima, après que le Créateur, par voie sigillaire et  pneumatique, « eut insufflé en lui son esprit vivifiant, et en eut chassé  le misérable Néant ». 
               Ainsi, dans la  conception marinienne, l’œuvre d’émanation accomplie à partir du « Miroir  de l’essence divine » se trouve-t-elle inévitablement associée, de façon  bancaleil est vrai, et sans qu’il existe entre ces deux niveaux de commune  mesure, à l’œuvre de création, inaugurée quant à elle par cette pénétration  vivifiante de l’Esprit dans l’épaisseur de la substance du Chaos. Cette  dernière, gravée par cette pénétration même à l’effigie du Créateur, et  débarrassée de sa part de ténèbres, ne fait vraisemblablement qu’un avec ce  sceau divin qui, selon l’octave de l’Adone citée plus haut, allait à son tour laisser son empreinte sur les réalités  intelligibles et sensibles 27. 
               On ne s’étonnera  pas que dans la perspective où est évoquée la chute de l’âme dans le péché,  l’Auteur privilégie le motif de l’altération de la ressemblance de l’âme avec  Dieu. Dans une chanson de la Lira consacrée à la conversion de Marie-Madeleine, la sainte, dans un élan de  repentir, constate que l’image pure et immaculée « imprimée» en son âme de  la main du Créateur a été par sa faute « souillée » et  « obscurcie » 28 :  or si la dialectique du clair et de l’obscur appartient bien au registre  spéculaire (en relation avec le topos  de l’âme miroir), la souillure, à l’inverse, tend à se rattacher au registre  sigillaire par le biais des schèmes de contact et d’imprégnation contaminante  entre des substances, ou des états, qui ne se situent pas au même niveau dans  la gamme allant du pur à l’impur.
               Le  texte de la Pittura, tout en continuant à faire interférer registres  spéculaire et sigillaire, met l’accent sur la responsabilité première de  Lucifer dans le processus de la chute pour avoir voulu rendre trop ressemblante  la ressemblance sans prendre en compte la disproportion qui oppose  nécessairement émanation et création, autrement dit l’ange (créé) et son modèle  archétypal (incréé). Dans le cas de l’ange déchu, comme dans celui de l’âme  qu’il entraîne dans son sillage, la transgression s’accompagne chez les  coupables d’une crise de la réceptivité des reflets et empreintes déposés en  eux par Dieu; ainsi « l’âme, qui par son innocence était limpide et cristalline,  devint un miroir aveugle et obscur, et perdit l’empreinte de la forme divine 29 .  En conséquence Dieu ne peut plus se reconnaître dans l’âme tant elle est  métamorphosée et déshumanisée : il ne peut plus, dit Marino, lire les  divins caractères qu’elle portait gravés en elle 30. 
               Parallèlement,  dans de nombreux passages de la Pittura, la Passion du Christ est  traitée comme une altération similaire de l’image divine déposée dans le Verbe  incarné ; une altération toutefois dont le Christ fut non pas l’auteur,  mais la victime, et qui eut pour conséquence la non agnition de sa nature  divine de la part des hommes. Marino ne souligne pas seulement le fait que  cette altération-là était nécessaire pour effacer l’altération de l’âme et  amorcer le processus de la Rédemption : il déclare de surcroît que la  Passion n’a porté atteinte qu’à une « empreinte charnelle » 31.  autrement dit à la nature humaine et mortelle du Christ, et en aucun cas à sa  nature divine, demeurée quant à elle parfaitement intacte, comme n’étant jamais  déchue de son statut archétypal. Telles sont du reste les raisons qui ont  incité Marino à faire du Christ la figure par excellence du Silène, qui cache  une âme divine sous de viles apparences, et à rattacher ensuite à ce tronc  paradigmatique, en particulier dans l’Adone,  une foule de personnages qui, tel Adonis, présentent à des degrés divers une  même vocation que le Christ au sacrifice rédempteur.
               On observe  d’autre part, toujours dans la Pittura, le caractère à la fois  spéculaire et sigillaire attribué à l’Incarnation du Christ à travers  l’isotopisme existant entre le motif de la Vierge mère et le motif du  miroir : de même, est-il dit, que le Soleil éclaire la surface de la Lune  et de façon purement spéculaire lui communique de sa lumière, de même la Grâce  divine s’est déversée dans le sein de Marie 32,  selon le même processus de pénétration et d’imprégnation dont nous signalions  plus haut l’appartenance indirecte au schème sigillaire, mais avec cette fois  une insistance plus marquée sur l’intuition viscérale qui s’y trouve impliquée.  Or ce  déversement de la Grâce - et par  dérivation cela sera vrai de tous les déversements, y compris dans des  contextes vulgaires et profanes - , a pour effet de mettre fin à la discontinuité  de nature qui existe nécessairement entre l’image et son reflet, comme entre le  sceau et son empreinte, et de la transmuer en continuité miséricordieuse par  communication non plus seulement de forme et d’image, mais de substance 33.  Dans le grand Mythe chrétien, c’est évidemment l’Incarnation du Verbe, puis son  prolongement sous la forme des Espèces eucharistiques, qui offre l’illustration  suprême de cette communication de substance ; c’est pourquoi, lorsque dans  la Musica Marino établit une similitude entre la production de la voix  et la génération du Verbe, il souligne que la première « n’emporte pas  avec elle la substance du  locuteur, tandis que le Verbe est consubstantiel  au Père » 34. Or  c’est précisément de cette consubstantialité, de cette « union  hypostatique » (pour reprendre les termes mêmes de l’Auteur) 35,  que l’homme est invité à devenir participant, et cela en transgressant de  manière héroïque la discontinuité, annonciatrice de séparation et de  déréliction, qui est inhérente au statut imparfait de la ressemblance.
               En raison de son  évident caractère pictural 36 le Saint-Suaire, qui constitue le motif dominant de la Pittura, est  notamment désigné comme étant le lieu symbolique où l’œuvre de Création, comme  par réflexion spéculaire, inverse son cours pour se transmuer en œuvre de  Rédemption : tout se passe comme si la première, opérée par le Père à  partir du tain chaotique du « Miroir de son essence », trouvait  ici-bas sa réplique dans la seconde, opérée par le Fils à partir de cet autre  « miroir » qu’est le Suaire, sur lequel il a à son tour déposé son  image. Marino est très explicite à cet égard : « De même - dit-il -  que le Père se peint lui-même en engendrant le Verbe, de même le Christ s’est  peint lui-même en laissant son image imprimée sur la sainte toile, avec comme  seule différence que l’une est toute entière lumineuse et resplendissante,  tandis que l’autre n’est que sang et obscurité » 37 ;  sang et obscurité qui ici, néanmoins, n’ont rien d’une dégradation ou cessation  de la lumière, mais en sont au contraire la sublimation paradoxale par le biais  du schème sacrificiel. Quant au tain de ce « miroir » rédempteur, il  est clairement figuré, dans la métaphore filée marinienne, par le sépulcre de  pierre, dans un emboîtement « sépulcre / suaire / corps du Christ »  qui est supposé reproduire au niveau terrestre l’emboîtement « Chaos /  Miroir / génération du Verbe » dans le Monde archétype 38.
               Nous avons peu  parlé, jusqu’ici, de l’Adone, parce  que les exemples concernant le sujet qui nous occupe y deviennent véritablement  proliférants, et sont de surcroît plus allusifs, souvent déformés par leur  insertion dans la fable, rendant quasiment impossible une lecture littérale, et  délicate toute tentative de synthèse dans les limites d’une brève exposition.  Nous nous contenterons donc, pour le moment, de signaler la présence de  quelques thématiques récurrentes, de quelques métaphores obsédantes en relation  avec le schème spéculaire / sigillaire, comme par exemple l’image  paradigmatique du « plan d’eau dans la grotte », aux innombrables  variantes et implications, tant éthiques que gnoséologiques. On constate, par  ailleurs, une fréquence exceptionnelle, même pour l’époque, du symbolisme  spéculaire de la pêche, complémentaire du symbolisme sigillaire de la chasse,  pour illustrer les deux principales modalités de la quête : la première  (la pêche) associée au schème maïeutique de l’extraction, mais aussi de la  réflexion, de la projection, du jaillissement des substances ignées hors d’un  réceptacle aquatique ou chtonien, la seconde (la chasse) associée aux schèmes  de pénétration et de fixation à travers le topos de la blessure physique ou  affective, mortifère ou vivifiante.
               L’un des points  forts de l’inspiration marinienne, et cela aussi bien dans les Dicerie que dans l’Adone, porte sans doute sur la conception de l’édifice corporel et  psychique de l’homme, et notamment sur la superposition, spécifiquement  spéculaire, des trois degrés de l’âme miroir (imaginative / affective,  rationnelle / spéculative, et contemplative), avec pour arrière-plan hylique et  chaotique, pour tain de ces miroirs emboîtés, et pour support des opérations  sigillaires dont l’homme sera le réceptacle avant que lui-même ne les répercute  sur son propre environnement, la condition corporelle et terrestre : les  cinq sens sont décrits comme un appareil émetteur / récepteur perfectionné, qui  présenterait la particularité, fortement soulignée par l’Auteur, de fonctionner  comme un système bifocal ou bipolaire, non seulement parce qu’il est, comme on  l’a vu plus haut, le lieu d’un échange entre locuteur et auditeur (comme entre  acteur et spectateur), mais plus encore, selon un autre type de bipolarité,  parce que l’homme, dans son corps et dans son âme, dans ses perceptions, ses  désirs et ses volontés, a le loisir de s’orienter soit vers les réalités intérieures  (subjectives ou spirituelles), soit, à l’inverse, vers les réalités extérieures  (objectives et matérielles, ces dernières n’étant rien d’autre, dans la  conception de Marino, que la réplique inversée et en quelque sorte le négatif  des premières, leur projection spéculaire / sigillaire dans le vide  existentiel. 
               Lorsque  l’ensemble des miroirs cognitifs physiques et psychiques mis par la Providence  à la disposition de l’homme ne sont plus envisagés dans une perspective plane  (productrice d’une vision linéaire et évolutive de la réalité), mais dans une  perspective sphérique, ou hémisphérique (génératrice de toutes les conceptions  cycliques), on voit se faire jour une alternance dialectique, éminemment  opérationnelle dans le système marinien, entre ce qui est « dedans »  et ce qui est « dehors », ce qui est « concave » et ce qui  est « convexe », par rapport à celui des deux pôles ou foyers  (intérieur ou extérieur, matériel ou spirituel) qui est pris en considération.  Cette alternance, qui repose toute entière sur la possibilité d’un retournement  du regard, n’est sans doute pas sans rapport avec la distinction, si ce n’est  qu’elle en relativise, topologiquement et axiologiquement, les applications  respectives en les faisant dépendre de celui des deux pôles qui va servir de  référence. 
    Pour Marino le  propre de l’homme est précisément d’être un intermédiaire entre les deux pôles  de Dieu et du monde : tournant d’abord, pour ainsi dire, le dos au monde  dans une attitude contemplative ou spéculative pour recevoir dans son  intériorité les richesses spirituelles ou intellectives qui sont à sa portée,  il se retourne ensuite vers le monde, en direction duquel il a pour mission de  déverser ces mêmes richesses par voie spéculaire et sigillaire, dans une  finalité qui s’avère rédemptrice aussi longtemps qu’elle n’est pas soumise aux  déviations et perversions de la psyché. Ainsi Marino, évoquant dans l’Adone le rayonnement du corps d’Amour,  peut faire le voeu de recevoir dans son intellect, dans une attitude  dévotionnelle et réceptrice, ne serait-ce qu’une « étincelle » de  cette lumineuse présence, afin que, sans plus se contenter de la porter  « sculptée » en son sein comme un sceau indélébile, il puisse se  retourner vers autrui, dans une attitude cette fois compassionnelle et  émettrice, pour l’en faire bénéficier (en l’occurrence sous l’aspect  particulier de la création poétique) 39,  en nourrissant son imagination et son affectivité, et en ensemençant, vivifiant  et illuminant son entendement.
               Mais pour  Marino, quelle que soit l’orientation choisie au gré des circonstances, ce sont  les réalités archétypales qui constituent l’unique et inaltérable modèle de  l’homme, de l’œuvre et des réalités du monde, à travers lesquels il est  indéfiniment démultiplié, déformé et transformé, et à partir desquels il est  indéfiniment recomposé, selon que l’on considère cette curieuse anamorphose  qu’est la manifestation divine en fonction de ses épures mondaines et humaines,  ou au contraire en fonction de leur image rectifiée, toujours possible, toujours  présente  virtuellement, comme dans l’anamorphose qui servira de  frontispice au Cannocchiale de  Tesauro, où les tracés labyrinthiques, par eux-mêmes dénués de signification,  visibles sur le sol deviennent, lorsqu’on les aperçoit dans le miroir conique  qui s’élève vers le ciel, des caractères lisibles formant la sentence Omnis in unum. Mais dans la conception  de l’Auteur, pour parvenir à la perception de l’image rectifiée, il faut  effectuer une sorte de marche à rebours, et procéder, d’une manière à la fois  héroïque et paradoxale, à l’inversion des inversions, et au retournement des  retournements occasionnés par la chute, autrement dit par la mauvaise  utilisation du miroir et du sceau en tant qu’instruments de  connaissance et de représentation.
               En définitive, qu’il s’agisse de l’homme, du monde ou du langage, il  n’est rien, strictement parlant, qui puisse échapper à l’emprise du double  schème spéculaire / sigillaire, car il n’est rien qui ne soit un effet, si  dégradé soit-il, des opérations théogoniques et cosmogoniques qui, par voie  spéculaire et sigillaire précisément, ont présidé à la création du monde. Tout  ceci révèle une sensibilité exacerbée aux virtualités de transformation et de  transmutation des substances corporelles, matérielles et psychiques, une  sensibilité héritée, certes, du passé, mais qui n’en constitue pas moins, à  travers le traitement original qui en est fourni, l’un des aspects les plus  modernes de la littérature baroque. À travers de telles intuitions, que Marino  partage avec toute une génération, un nouveau champ de conscience semble  s’ouvrir : si en raison d’un incessant détour par les abstractions on perd  de vue l’échelle ordinaire des choses au risque de sombrer dans l’inconsistance  et l’idéalisme stérile, on fait retour dans le même temps aux plus infimes  composants et rouages de la réalité, dans un univers où chaque souffle, chaque  geste, chaque parole, chaque ombre d’idée déclenchent de subtils mécanismes et  sont virtuellement créateurs de mondes nouveaux pour peu qu’ils rencontrent des  réceptacles adéquats sur lesquels déposer leurs traces et leurs empreintes.
Marie-France Tristan
1- Rime amorose, éd. Panini, 1987, Sonnet n°2 : « (Q1) Del petto mio ne la più nobil parte / scolpir sapesti Amor, con l’aureo strale, / quella forma leggiadra […] / (Q2) Or tu fabro divin m’insegna l’arte […] / ond’a l’essempio c’ho ne l’alma, eguale / possa ritrar la bella imago in carte / (T1) Tu, se brami che l’ombra agguagli il vero, / presta le penne a me de le tue piume, / perché scriva la man, voli il pensiero, / (T2) e quella face tua ch’ha per costume / d’ardermi il cor, lo ‘ingegno oscuro e nero / rischiari ancor col suo celeste lume ».
2- Rime marittime, éd. Panini, 1988, Sonnet n°3 : « (Q1) Rotte già l’onde da l’ardenti rote / fiammeggian là nel luminoso Eoo […] / (Q2) … il sol, che ‘l mar percote […] / (T1) Ecco che già de l’acque il molle argento / indorato da tepidi splendori / fa tremolar con cento lampi e cento ».
3- Ibid. Sonnet n°8 (Tacean sotto la notte Austri e procelle): « (Q2) Splendean con chiare e lucide fiammelle / per entro il bel tranquillo il bel sereno : / ond’io, ch’apria co’ remi a l’acque il seno, / credea solcar lo ciel, gir per le stelle ».
4- Ibid. Sonnet n°43 (Pon mente al mar, Cratone): « (Q2) Rimira, ignuda e senza nube alcuna, / nuotando per lo mobile elemento, / misto e confuso l’un con l’altro argento, / tra le ninfe del ciel danzar la luna ».
5- Rime boscherecce, éd. Panini, 1991, Sonnet n°46 (Scesa con picciol urna era Tirrena) : « (Q1) (le Pô) lucid’onde e terse / specchio a’ begli occhi et a la bocca offerse / di soave licor gelida vena ; / (Q2) Ella la fronte angelica serena / ne’ bei cristalli e ‘l dolce labro immerse ».
6- Lira III, section « Amori », éd. G.C. Ciotti, 1616, p. 30 : « (Q1) E’ sogno o ver ? Se sogno, ahi chi dipinge / viva la bella imagine a la mente ? […] / (T1) Questo è pur il mio Sol, l’Idolo mio, / è pur la bianca man questa ch’io veggio, / io la tocco, io la bacio. Io son pur io ».
7- Ibid. Sonnet p. 36 (Globo gravido d’aure al ciel sospinto) : « (T1) E mentre, quasi un Ciel ch’avampi e scocchi / battendo il lieve suo volubil pondo, / tuona col braccio, e folgora con gli occhi, / (T2) par, degli strazi suoi lieto e giocondo, / o la man vaga o’l piè leggiadro il tocchi, / gioir percosso e ripercosso il mondo ».
8- Ibid. Sonnet p. 2 : « (Q1) Simulacro divino, unica stampa / di bellezza immortale […] ; / (T1) Opra maggior del gran pennel di Dio, / lavoro di natura il più perfetto ».
9- Rime, section « Rimemorali », sonnet Sotto caliginose ombre profonde, repris dans la Lira de 1614, éd. cit. p. 172 : « (T2) Argo mi fai, dov’io son cieco e losco, / ne la mia notte il tuo splendor riveli, / quanto t’intendo men più ti conosco ».
10- Lira III, section « Divozioni », éd. cit. p. 164, sous le titre Invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciuntur (extrait de l’Ep. aux Rom. 1, 20) : « (T1) Ma questi (gli oggetti creati) de’ tuoi raggi ardenti e puri / (benché del tuo gran piè serbin la traccia) / sono specchi enimmatici ed oscuri. / (T2) Onde quaggiù, tanto ch’a te non piaccia / scoprirla a noi lassù ne’ dì futuri, / veggiam sol le tue spalle, e non la faccia ». On a la preuve, s’il en était besoin, qu’en écrivant ces vers Marino songeait au texte de saint Paul dans 1 Cor. 13, 20, ainsi qu’aux versets de l’Exode 33, 20-23, car à peu près à la même époque il traite plus longuement de ce motif dans les Dicerie sacre en faisant explicitement référence à ces deux textes.
11- Le Cieloin Dicerie Sacre, éd. Einaudi, 1960, p. 409 (l. 21-26) : « Sicome il Sole per entro il cristallo trapassa, così la virtù de que’ raggi vitali i suoi diversi e possenti influssi in giù riversando, fende il corpo diafano del fuoco, il trasparente dell’aria, il liquido dell’acqua, e nel cerchio della terra sicome a mezo del tutto, viensi finalmente ad unire, e ritrovandolo opaco, nel suo fondamento si ferma ».
12- D.S. (Musica), p. 259 (l.7-9), où l’expression verbale est successivement désignée comme « suggello che nell’orecchie altrui imprime i concetti, penna che scrive i caratteri del pensiero, pennello che dipigne l’imagine dell’intelletto » ; dans l’Adone V, 1 l’expression verbale, par une nouvelle association de la spécularité picturale et de la sigillarité scripturaire, sera semblablement qualifiée de « penna e pennello che con note vive / e con vivi color dipinge e scrive », et de « divin suggel, che mentr’esprime i detti, / imprime altrui negli animi i concetti ».
13- D.S. (Musica) p. 329 (l. 34) - 330 (l. 9) : « Dicono i Peripatetici che l’Eco altro non è che l’istessa umana voce, ch’alle mura di quello speco dove si parla giungendo, senza esser rotta, all’altrui orecchie ritorna intiera, ed a guisa di palla, che incontro a duro sasso battuta riede di nuovo incontro a colui che la batte, overo di specchio, il qual ripercotendo indietro quella imagine che gli si fa innanzi, la riflette agli occhi di chi in esso si mira, così la voce rintuzzata dalla repulsa de’ sassi d’un luogo concavo, non però dissipata o dispersa, ma per quelle chiuse voragini vagando erratica, con intiero e distinto suono fa ritorno là donde parte ».
14- Pour l’anatomie de l’œil et le mécanisme de la vision, cfr. Adone VI, 25-38, et en particulier oct. 34, où les cavités des orbites sont décrites comme des « cavernes profondes » (ime caverne) ; pour l’anatomie de l’oreille et le mécanisme de l’audition cfr. Ibid. VII, 12-16, où l’on relève toutefois une nette prédominance de la terminologie sigillaire (oct. 14 : « Da l’esterno fragor rotto e percosso / l’aere del suon la qualità ritiene » ; et oct. 15, où l’air ainsi sonorisé se propage jusqu’au « sens commun », et « il caratter del suon vi stampa dentro »).
15- D.S. (Pittura) p. 101 (l. 11) : « specchio e suggello della Natura », partiellement imité de Panigarola (Prediche p. 75), pour qui le soleil était déjà « sigillo della natura ».
16- Ibid. p. 111 (l. 5-8) : « […] acciocché […] l’aspetto di quella luce invisibile in se stesso, come in una tavola o in una statua, alle creature tutte rappresentasse ».
17- Ibid. p. 111 (l. 14-16) : « Iddio talmente nell’uomo la Sua immagine affisse, che svellerla o cancellarla è impossibile senza guastare tutta la fabbrica » ; cfr. aussi p. 114 (l. 1-3), où Marino s’adresse à Dieu en ces termes : « Serba talmente in se stesso l’impression del divin suggello questo tuo simulacro animato e spirante, che in tutte l’azzioni sue mostra […] d’esserti simile ; et p. 115 (l. 20-22) : « In tutto il composto dell’uomo è stampato il marchio di Dio ».
18- Ibid. p. 121 (l. 10-11) : « Che vi pare di gemma così peregrina, intagliata di così nobile impronta ? » ; (l. 26) : « quel sopramortale orefice » ; (l. 29-30) : « L’ha ornata della sua similitudine e legata in questo prezioso annello per fregiarsene il dito » ; cfr. aussi p. 121 (l. 6-7), où l’Auteur s’adresse à l’âme : « Hai il carattere e la similitudine di Dio », et p. 122 (l. 9-13) : « (Dio) suggellò nell’anima di quest’uomo con la sua virtù effettrice l’impronta della propria sembianza […], accioché da sì fatto carattere si possano per noi ed il suo dominio e la sua faccia insieme riconoscere » ; (l. 17-18) : « […] questo gioiello, improntato di sì nobile impressione ».
19- Ibid. p. 120 (l. 22-26) : « (Il meraviglioso edificio dell’uomo) la cui parte interior ha egli (Dio) foderata d’una pietra lucida, in cui, non altrimenti che in un tersissimo specchio vagheggiando se stesso, si diletta di stampar la propria figura », et p. 134 (l. 19-21) : « Era l’anima dell’uomo a guisa di specchio, in cui vagheggiandosi Iddio, veniva il proprio volto ad imprimere ».
20- Il est bien entendu que ce qui est « au-delà » du miroir pour le regard de Dieu correspond à l’inverse à un « en deçà » de ce même miroir pour le regard des créatures. Si le miroir est sphérique, comme c’est le cas du miroir de l’âme, une telle inversion, dont les implications éthiques sont innombrables, signifie que dans l’intervalle s’est opéré un retournement du miroir et de son tain.
21- Adone XI, 33 (Vénus à Adonis, à propos de la lumière du Ciel de Vénus) : « (v. 1-3) La luce che tu miri è quella istessa / ch’arde ne’ tuoi begli occhi […], / specchio di Dio che si vagheggia in essa ; (v. 5-6) stampa immortal da quel suggello impressa / dove il Fattor la sua sembianza pose ».
22- A propos de la distinction entre « image » et « ressemblance » cfr. aussi cf. D.S. (Pittura) p. 109 (l. 7) - 110 (l. 4), où toutefois l’imprécision des termes, voire l’inversion des significations traditionnellement admises, donne à penser que la réflexion théologique de l’Auteur avait mûri entre la rédaction de ces lignes de la Pittura et celle de ces vers de l’Adone.
23- D.S. (Pittura) p. 143 (7-8): « L’altre creature sono ritratti sì, ritratti però non del viso, ma delle spalle di Dio ».
24- Ibid. p. 109 (l. 1-2) : « In quella (la creazione degli altri animali) Dio dà la forma ai corpi ed all’anime in un medesimo tempo ; ma in questa (la creazione dell’uomo), forma prima il corpo e poi l’informa dell’anima » ; à rapprocher de Ibid. p. 98 (9-16) où c’est « a guisa di giudizioso pittore, il quale assai sovente quelle istesse figure ch’egli ha da colorire in tavola riduce in modello di stucco o di terra », que Dieu, sculpteur avant même d’être peintre, « compose l’umana statua di stucco e di terra ».
25- Ibid. p. 136 (l. 9)-137 (l. 3) : « Vagheggiando se stesso dentro lo specchio limpidissimo della propria essenza […], venne eternamente col pennello dell’intelletto suo produttivo e fecondo a ritrarre se medesimo, anzi […] a medesimarsi ed a formare (si può dire) un altro sè ; e questi fu il Verbo eterno ».
26- Ibid. p. 136 (l. 7-8) : « […] per entro la grossa bozza di quella informe mescolanza d’abbissi e di quella indistinta e confusa massa che Caos s’appellava » ; sur ce point cfr. La Sepmaine de Du Bartas, dont Marino s’est ouvertement inspiré à plusieurs reprises sur le plan formel, mais dont il s’écarte radicalement sur le plan conceptuel.
27- Ibid. p. 135 (l. 23) à 136 (l. 2) : « […] prima ch’Iddio discacciasse da quell’antico seminario di cose l’infelice Nulla, prima che infondesse in quella imperfetta e disordinata discordia il suo spirito vivace ». Précisons que tout au long de cette évocation, qui fait figure de remontée vers la source, l’ordre des opérations cosmogoniques est systématiquement présenté à rebours. Lira III, (section « Divozioni »), ed. cit. p. 210 à 220, str. 11 : « Vede già la figura / che da la mano istessa / le fu ne l’alma impressa / di Colui che la diè candida e pura, / contaminata, e per colpa sua oscura ».
28- Lira III, (section « Divozioni »), ed. cit. p. 210 à 220, str. 11 : « Vede già la figura / che da la mano istessa / le fu ne l’alma impressa / di Colui che la diè candida e pura, / contaminata, e per colpa sua oscura ».
29- Cf. D.S. (Pitt. I) p. 134 (l. 24-26) : « Così l’anima, che per la innocenza era limpida e cristallina, diventando specchio abbacinato ed oscuro, perdette la stampa della divina forma ».
30- Ibid. p. 134 (l. 30)-135 (l.1) : « (Le Christ lui-même) non solo non seppe egli discernervi l’antica somiglianza, ma la vide ridotta a termine ch’era impossibile a leggerne il soprascritto ed a raccoglierne s’ella era anima umana ».
31- Ibid. p. 147 (l. 15-16) : « (A Satan) Sfogasti solamente la tua rabbia in una stampa di carne ».
32- Ibid. p. 105 (l. 4-7) : « Porge il Sole alla Luna più ch’a tutte l’altre stelle la communicanza del suo lume, in quella guisa che versò Iddio in una Vergine, più che in qualsivoglia altra creatura, la pienezza delle sue grazie ».
33- Cfr. Adone III, 139 (à propos de la communication purificatrice de la grâce, identifiée ici avec le mérite, qui n’en serait que l’effet) : « […] alma superna / ne l’amato suggetto il merto imprime » ; oct. 140 : « Quando alcun Dio d’amar dispone / uom terreno e caduco, il fa perfetto ; […] e d’ogni indignità purgando il vile, / ciò ch’è per sè villan rende gentile ».
34- D.S. (Musica) p. 330 (25-29): « La voce e la parola si divide e disgiunge dal parlatore, ma il Verbo è sempre unito al Padre, ed è tutt’uno col Padre. Quella non porta seco la sostanza di colui che parla, ma questo è consustanziale a chi lo genera ».
35- D.S. (Pittura) p. 121 (20-23) : « (Que l’âme humaine) è nobile più degli Angioli se si mira all’innesto della unione ipostatica ond’ella si è legata con Dio ».
36- Le Saint-Suaire, dans Ibid. p. 199 (l. 20-21), est la « tela informata del divino ritratto », et p. 176 (l. 23-24) « l’arnese fabricato dal fabricator del Cielo e dipinto del suo vero ritratto ».
37- Ibid. p. 150 (2-6), au Christ : « Il Padre (come di sopra dissi) dipigne se stesso, il Verbo generando ; e tu né più né meno dipignesti ancora, lasciando la propria immagine impressa in questa sacra tela, non con altra differenza, se non che quella è tutta luminosa e lucente, ma questa è tutta sanguinosa ed oscura ».
38- Ibid. p. 173 (19-23), où il est dit que la pierre du sépulcre aurait pu, par voie sigillaire, conserver plus durablement les marques de la Sainte Face que ne le fit le Suaire par voie spéculaire, si ce n’est que le Peintre divin, dans la composition de ce dernier, a utilisé « un mélange parfait de couleurs immortelles » ; et p. 179 (27-29), au Suaire : « (Tu sei) più beato che la sepoltura dove giacque : quella lo toccò involto nel lenzuolo ; tu lo toccasti discoverto e ignudo », ce qui souligne bien la position intermédiaire du voile entre le corps enseveli et la pierre.