(Chant V, oct. 121-146)

La Tragédie d’Actéon

(Mercure, pour l’occasion metteur en scène, offre à Vénus et Adonis une représentation de la Tragédie d’Actéon pour mettre le jeune homme en garde contre les dangers de la chasse)

121 - Erano i cari amanti entrati apena
L’un l’altro a braccio, in quella sala altera,
Quand’ecco aprirsi una dorata Scena,
Ch’emula al giorno illuminò la sera.
Fôra di luce e d’or men ricca e piena,
Se s’aprisse (cred’io) la quarta sfera.
Selue, statue, palagi agli occhi offerse
La cortina rëal quando s’aperse.

121 - Les fervents amoureux, se tenant enlacés, venaient de pénétrer dans cette salle altière, quand voici que s’ouvrit une Scène dorée qui, émule du jour, illumina le soir. Selon moi, en s’ouvrant, la quatrième sphère1 serait moins riche d’or, moins emplie de lumière. Quand elle s’écarta, la tenture royale exposa aux regards forêts, statues, palais.

122 - Spettacolo gentil Mercurio in questa
Presentar vuole al fortunato Adone.
Mercurio è quei che i personaggi appresta,
Et essercita e proua ogn’Histrïone ;
E ciascun d’essi in lieta parte o mesta
Secondo l’attitudine dispone.
Né seco già di recitar consente
Turba vulgar di mercenaria gente.

122 - Mercure, sur ces planches, a l’intention d’offrir un spectacle plaisant à l’heureux Adonis. C’est lui qui a choisi les divers personnages, qui exerce et entraîne les différents Acteurs, et distribue les rôles, soit tristes soit joyeux, selon les aptitudes. Et il n’accepte pas que joue auprès de lui une troupe vulgaire de simples mercenaires.

123 - L’Inuentïon, la Fauola, il Poëma,
E l’Ordine, e’l Decoro, e l’Armonia
Dela Tragedia sua stendono il tema,
La Facetia, e l’Argutia, e l’Energia.
L’Eloquenza è l’artefice suprema,
Sourastante con lei la Poësia.
Seco il Numero, il Metro, e la Misura
Si prendon dela Musica la cura.

123 - L’Invention et la Fable, associées au Poème, l’Ordre et le Decorum unis à l’Harmonie, développent le thème de cette Tragédie, avec la Facétie, l’Argutie, l’Énergie2. L’Éloquence est l’artiste suprême de la pièce, partageant cet honneur avec la Poésie. Le Nombre et la Mesure l’assistent, avec le Mètre, pour régir avec elle les lois de la Musique.

124 - Dànsi ala coppia bella i seggi d’oro,
Donde quanto si fa tutto si scerne ;
Et ecco il primo uscir di tutti loro
Il portator del’ambasciate eterne,
Ch’a spiegar l’argomento in stil canoro
Mostra venir dale magion’ superne ;
E’l suggetto proposto e persüaso
È d’Atthëone il miserabil caso.

124 - On réserve au beau couple les deux sièges en or, d’où l’on peut assister à tout ce qui se fait ; et voilà que, de tous, le premier à sortir est celui qui apporte les messages d’en haut ; on le voit qui descend des célestes demeures pour, en style chanté, exposer l’argument ; le sujet proposé sur un ton persuasif relate d’Actéon la funeste aventure3.

125 - Et Atthëone al Prologo succede,
Che vien con archi, e dardi, e cani, e corni,
E da molti scudier’ cinto si vede
Di spiedo armati, e nobilmente adorni ;
E mentre ch’ei dele seluagge prede
Parte d’essi a spïar manda i soggiorni,
E squadra i passi, et ordina la traccia,
Con diuerse ragion’ loda la Caccia.

125 - Actéon en personne succède à ce Prologue, muni d’arcs et de flèches, et de chiens, et de cors ; on le voit entouré de nombreux écuyers qui sont armés d’épieux, et noblement vêtus ; et tandis qu’il envoie une partie d’entre eux reconnaître les gîtes de ces sauvages proies, et observe leurs pas, et lance la battue, par diverses raisons il célèbre la Chasse.

126 - Et ecco ad un squillar d’auorio tôrto
Sbucar repente da cespugli e vepri
Di mansüete Fere Adone ha scòrto
Più d’uno stuol tra mirti e tra ginepri ;
E dal Palco saltar con gran diporto
Damme, e Camozze, e Cavrïuoli, e Lepri,
E parte dela Dea fuggirsi al lembo,
E parte a lui ricouerarsi in grembo.

126 - Au retentissement d’un ivoire en spirale4 Adonis aperçoit, entre des plants de myrtes et de genévriers, des bandes d’animaux aux mœurs inoffensives déboucher tout à coup des buissons et des ronces, et sauter du Plateau des Daims et des Chamois, des Chevreuils et des Lièvres qui s’ébattent gaiement, certains se réfugiant sous le pan de l’habit que porte la Déesse, d’autres se blottissant dans son propre giron.

127 - Ma poco stante, si dilegua a volo
La caccia, e noua effigie il Palco prende,
Perché librato in un volubil polo,
Se stesso in su quel cardine sospende,
Loqual’ in giro, e ben confitto al suolo
Vòlgesi ageuolmente, hor poggia, hor scende,
E’l mobil peso suo portando intorno,
Viene alfine a serrar corno con corno.

127 - Mais peu de temps après la chasse se dissipe, tandis que le Plateau prend une autre apparence : tenu en équilibre sur un fût rotatif, il reste suspendu au-dessus de cet axe qui, bien fiché au sol, pivote sur lui-même avec facilité, et monte, et redescend, et en faisant tourner son mobile fardeau, unit finalement les deux cornes du cercle5.

128 - Come congiunti in un sol globo il Mondo
Duo diuersi Hemisperi insieme lega
Per l’Orizonte, che dal sommo al fondo
La rota uniuersal per mezo sega ;
Così l’ordigno che si gira in tondo
Vari thëatri in un thëatro spiega ;
Senon che doue quel n’abbraccia duo,
Questo più ne contien nel cerchio suo.

128 - De la même façon qu’unis en un seul globe le Monde peut lier entre eux deux Hémisphères par l’Horizon céleste, qui du haut jusqu’en bas coupe par le milieu la roue de l’univers6, ainsi ce mécanisme qui évolue en rond déploie divers théâtres en un théâtre unique, sinon que le premier n’en embrasse que deux, tandis que le second en renferme plusieurs en sa circonférence ;

129 - Sì che quantunque volte un nouo gioco
Agli occhi altrui rappresentar si vòle,
Fa mutar faccia in un instante al loco
L’orbicolare e spatiosa mole,
Ch’entro concaua vite a poco a poco
Senza strepito alcun mouer si suole,
E con tanto artificio hor cala, hor sorge,
Che l’occhio spettator non sen’ accorge.

129 - si bien que chaque fois qu’on veut représenter un nouvel épisode aux yeux des assistants, l’ample dispositif de forme orbiculaire fait qu’aussitôt le lieu montre un autre visage : imperceptiblement et sans faire aucun bruit, tournant à l’intérieur d’une tige concave aux parois en hélice7, il descend et remonte8 avec tant d’artifice que l’œil du spectateur ne s’en aperçoit pas.

130 - Reggon l’opra maggior vari sostegni,
E correnti, e pendenti, et asse, e traui,
E di bronzo ben saldo armati legni,
Dure catene, e grossi ferri e graui,
E con argani mille, e mille ingegni
Del medesmo metallo e chiodi, e chiaui ;
E questo ordine a quel sì ben risponde,
Che nel numero lor non si confonde.

130 - Un grand nombre d’étais soutiennent le gros œuvre, des essieux, des solives, des poutres, des travées, et des pièces de bois armées et renforcées par des plaques de bronze, et de robustes chaînes, des fers gros et pesants, et des milliers de treuils, des milliers de poulies, et des clous et des clefs faits du même métal ; et l’ordre de chacun est à ce point conforme à l’ordre général que leur nombre n’engendre aucune confusion.

131 - Et hor che per cacciar dal verde prato
Il Thebano Garzone il piè ritira,
Tosto che su’l gran vertice forato
Il ferrato baston mosso si gira,
Cangia sito la scena, e l’apparato
In altro aspetto trasformar si mira ;
Et al cader dela primiera tela
Differenti apparenze altrui riuela.

131 - Tandis que, pour chasser, le jeune héros Thébain9 entreprend de quitter la prairie verdoyante10, quand le bâton de fer, une fois mis en branle, se remet à tourner sur la voûte percée11, la scène sur-le-champ présente un autre cadre, et l’on voit le décor alors se transformer et prendre un autre aspect : quand la toile de fond en vient à s'abaisser il révèle au regard un tableau différent12.

132 - Spelonche opache v’ha, foreste amene,
Piagge fresche, ombre fosche, e chiari fonti.
Viui argenti colà sparge Hippocrène,
Qui Parnaso bicorne erge due fronti.
Con le sue dotte e vergini Sirene
Discende Apollo da que’ verdi monti,
Imitando quaggiù vaghe e leggiere
Le danze che lassù fanno le sfere.

132 - On voit de sombres grottes, des forêts accueillantes, des lieux pleins de fraîcheur, emplis d’ombres obscures et de claires fontaines. Là Hippocrène verse des coulées d’argent vif, le Parnasse bicorne dresse ici ses deux fronts. Et Apollon descend de ces monts verdoyants, escorté de ses vierges et savantes Sirènes13, imitant ici-bas, gracieuses et légères, les danses que là-haut exécutent les sphères.

133 - Ciascuno accorda al’organo che tocca
I passi e i salti in un, gli atti e le note,
E con la man, col piede, e con la bocca
L’aure a un punto, e le corde, e’l suol percote.
Finito il ballo, in un momento scocca
Il magistero del’occulte rote,
E volgendosi il perno, a cui s’appoggia,
Riueste il Palco di nouella foggia.

133 - À l’instrument qu’ils touchent tous accordent leurs pas, harmonisant les sauts, les gestes et les chants, et de la main, du pied, ainsi que de la bouche ils frappent en même temps l’air, les cordes et le sol. Quand s’achève le bal, aussitôt se déclenche l’ensemble magistral des occultes rouages, et tandis que se meut l’axe qui le soutient, il revêt le Plateau d’une forme nouvelle.

134 - Dopo il primo Intermedio un’altra volta
Videsi il bosco, e quiui Cinthia apparse,
Che venne stanca ala verd’ombra e folta
Dela valle Gargafia a rinfrescarse ;
E d’ogni spoglia sua discinta e sciolta,
Lauò le membra affaticate et arse ;
E tra le pure e christalline linfe
Si stette a diuisar con l’altre Ninfe.

134 - Quand prit fin à son tour le premier Intermède, on aperçut le Bois une nouvelle fois ; et Cynthia14 apparut, qui venait, épuisée, trouver de la fraîcheur à l’ombre verte et dense du val de Gargaphie15 ; et s’étant dépouillée de tous ses vêtements, elle lava ses membres harassés et brûlants, et elle demeura au milieu de ces pures et cristallines lymphes à converser ainsi avec les autres Nymphes.

135 - Gira la Scena, e in un balen girando
Di Centauri guerrier’ piena è la piazza ;
Chi d’acuto trafier la destra armando,
Chi d’hasta lieue, e chi di graue mazza.
Saluo in braccio lo scudo, in armeggiando
Non han, che copra il resto, elmo, o corazza.
Grida la tromba in bellicosi carmi,
“Ala guerra ala guerra, al’armi al’armi”.

135 - Sur ce la Scène tourne : changeant en un éclair, de Centaures guerriers la place est bientôt pleine ; l’un a la main armée d’un trident aiguisé16, et un autre brandit une lance légère, ou un pesant gourdin. Hormis le bouclier qu’ils portent sur le bras, ils n’ont pour se couvrir durant ces passes d’armes ni heaume, ni cuirasse. La trompette rugit en odes belliqueuses : “Au combat ! au combat ! or sus ! or sus ! aux armes !”.

136 - Già par che con furor l’un l’altro assaglia,
Già già par che di sangue il suol si sparga.
Armonica e per arte è la battaglia,
Hor s’intreccia, hor fa testa, et hor s’allarga.
E mentre contra quel questo si scaglia,
Fan cozzar claua a claua, e targa a targa,
E battendosi a tempo hor tergo, hor petto,
Fan di mezo al’horror nascer diletto.

136 - On les voit s’assaillir l’un l’autre avec fureur, et l’on croirait vraiment que le sol, pour de bon, se recouvre de sang. Qu’on s’étreigne ou s’affronte, ou que l’on se replie, c’est l’art et l’harmonie qui règlent la bataille. Et tandis que chacun attaque l’adversaire, on entend se cogner les écus et les masses ; ils se frappent le dos ou le torse en mesure, au milieu de l’horreur générant le plaisir17.

137 - Mentre Adone al bel gioco è tutto intento,
Amor pietoso a rinfrescarlo viene,
E gli reca una d’oro, una d’argento
Coppe d’ambrosia e nèttare ripiene.
Ei quanto basta al débito alimento
N’assaggia sol per ristorar le vene,
Ch’altr’ésca, onde maggior gusto riceue,
Pasce con gli occhi, e per l’orecchie beue.

137 - Mais tandis qu’Adonis observe le spectacle avec grande attention, Amour, aimablement, s’en vient le rafraîchir, et il lui tend deux coupes, dont l’une est faite d’or, et emplie d’ambroisie, l’autre faite d’argent, et pleine de nectar. Lui, se satisfaisant du juste nécessaire, y goûte à seule fin de restaurer ses veines, car c’est un autre appât, de plus forte saveur, qu’il mange par les yeux, et boit par les oreilles.

138 - Nel’Atto terzo in su’l gireuol fuso
La machina versatile si volue,
E ritorna Atthëon sparso e diffuso
Il volto di sudor tutto, e di polue ;
Onde di dar’ al Veltro et al Seguso
Alquanto di quïete alfin risolue.
Coglie le reti, e nel’ombrosa e fosca
Selua per riposar solo s’imbosca.

138 - À l’Acte trois, plantée sur le fuseau mobile, la machine tournante se déplace à nouveau, et Actéon revient, le visage en sueur, tout couvert de poussière ; aussi décide-t-il d’accorder à ses chiens, Limiers et Lévriers, un moment de répit. Il ramasse les rets, et pénètre tout seul, pour prendre du repos, dans les bosquets ombreux et la sombre forêt.

139 - Hor tra i confin’ di questo e del’altr’Atto
Non men bel si frapon nouo interuallo :
Ondeggiar vedi un mar, non so se fatto
Di zaffìro, o d’argento, o di christallo,
E le sponde vestir tutte in un tratto
D’alga, e di limo, e d’ostro, e di corallo,
E tremar l’onde con ceruleo moto,
E Delfini guizzar per entro a nuoto.

139 - Or voilà que soudain, entre cet Acte et l’autre, un nouvel intermède tout aussi beau prend place. On peut voir ondoyer une mer de saphir, à moins que ce ne soit d’argent ou de cristal, qui brusquement revêt tous ses bords de limon, auquel étaient mêlés algues, pourpre et corail ; on voit les eaux frémir d’un mouvement bleuté, et des Dauphins qui nagent et frétillent au-dedans..

140 - E quinci e quindi per l’instabil campo
Spiegar turgide vele antenne alate,
Urtar gli sproni, e con rimbombo e vampo
Venir’ in pugna due possenti armate.
Di Gioue intanto il colorato lampo
Listando il fosco Ciel di linee aurate,
Fa per l’aria vibrar con lunghe strisce
Mille lingue di fiamma oblique bisce.

140 - Sur l’instable étendue on voit ici et là des antennes ailées déployer fièrement des voilures gonflées, et deux fortes armées en venir au combat, et les proues18 se heurter dans un tohu-bohu de fracas et de flammes, tandis qu’en même temps l’éclair enluminé que lance Jupiter, striant de lignes d’or le ciel enténébré, fait vibrer dans les airs, en d’obliques zigzags et de longues traînées, mille langues de feu.

141 - Fólgora il cielo, e fólgoran le spade,
Gónfiansi l’onde tempestose e nere,
Et acqua e sangue per l’ondose strade
Piouon le nubi, e piouono le schiere.
Chi fugge il ferro, e poi nel foco cade,
Chi fugge il foco, e poi nel’acqua père,
Chi di sangue, e di foco, e d’acqua asperso
Mòre ucciso in un punto, arso, e sommerso.

141 - Le ciel et les épées fulminent de concert, on voit les flots enfler, sombres et démontés, nuées et bataillons déversent sang et eau sur les voies onduleuses. Et si l’un fuit le fer, il tombe dans le feu, l’autre en fuyant le feu devient la proie de l’eau, et un autre aspergé de sang, de feu et d’eau meurt à la fois occis, et brûlé, et noyé.

142 - Tale è la guerra, e la procella, e’l gelo,
Ch’agguagliato è quel ch’è, da quel che pare.
Ma in breue poi rasserenarsi il Cielo
Vedi, e in un punto implacidirsi il mare,
Et Iri il suo dipinto humido velo
Stender per l’aure rugiadose e chiare.
Spariscon le Galee, svanisce il flutto,
Strùggesi l’arco, e si dilegua il tutto.

142 - Les ardeurs de la guerre, la tempête et le gel sont si proches du vrai, que ce qui apparaît égale ce qui est19. Mais peu de temps après le ciel se rassérène, tandis qu’au même instant la mer redevient calme, Iris étend son voile humide et coloré dans les airs lumineux imprégnés de rosée. Les galères s’effacent, les flots s’évanouissent, l’arc-en-ciel se dissipe, et le tout disparaît.

143 - Ciò fatto, il bel thëatro ancor si chiude,
Poi si vede sgorgar vaga fontana,
Doue tra molte sue seguaci ignude
Stassi Atthëone a vagheggiar Dïana.
Et ella con le man’ leggiadre e crude
Gli toglie dopo il cor la forma humana.
Con pelo hirsuto, e con ramose corna
Il miser Cacciator Ceruo ritorna.

143 - Une nouvelle fois le beau tableau s’éclipse, et l’on peut voir jaillir une belle fontaine ; Actéon se tient là, et il contemple Diane au milieu d’un grand nombre de ses suivantes nues. Et elle, de ses mains charmantes et cruelles, alors qu’elle lui a déjà ravi le cœur, fait qu’il est de surcroît privé de forme humaine. Avec un poil hirsute, et des cornes rameuses, le malheureux Chasseur est transformé en Cerf.

144 - Nel fin di questo in un azurro puro
Al’improuiso il Ciel si discolora,
E fregiando d’argento il campo oscuro,
Con le stelle la Luna ecco vien fòra.
Poi dando volta il neghittoso Arturo,
Col giorno a mano a man sorge l’Aurora.
Vero il Sol crederesti, e vera l’Alba,
Che le nebbie rischiara, e l’ombre inalba.

144 - À la fin de cet Acte, sur fond de pur azur, voilà que brusquement le ciel se décolore, et décorant d’argent les sombres étendues, on voit sortir la Lune escortée des étoiles20. L’indolent Arcturus allant sur son déclin21, l’Aurore peu à peu surgit avec le Jour. On croirait véritables et le Soleil et l’Aube, qui éclairent les nues et font blanchir les ombres.

145 - S’alza il Palco di sotto a un tempo istesso,
E mezo Anfithëatro in giro spande.
Prospettiua superba appare in esso
Con ricca mensa e sontüosa e grande,
E v’ha de’ sommi Dei tutto il consesso,
Con tal pompa d’arnesi e di viuande,
Tanto thesor, tanto splendor disserra,
Che sembra apunto il Ciel calato in terra.

145 - Le Plateau du dessous s’élève en même temps, ouvrant en demi-cercle un vaste Amphithéâtre. Là une perspective superbe s’offre aux yeux, laissant voir une table riche, somptueuse et grande ; et tous les Dieux d’en haut s’y trouvent rassemblés, avec un faste tel de couverts et de mets, et un tel déploiement d’éclat et d’opulence, qu’on croirait que le Ciel est descendu sur terre22.

146 - Concerto allhor di musici concenti
Da basso incominciò, d’alto e da lato,
E concordi s’udîr vari istromenti,
Qual da man, qual da gamba, e qual da fiato,
Et acuti, e veloci, e graui, e lenti
Alternar versi al pasteggiar bëato,
E rispondersi insieme in molti chori
Mute di Ninfe, e sinfonie d’Amori.

146 - C’est alors qu’un concert de belles harmonies commença par en bas, par en haut, de côté, et que l’on entendit différents instruments, à cordes, à gambe23, à vent, émettre à l’unisson des motifs alternés tantôt aigus et vifs, tantôt graves et lents, qui venaient égayer le bienheureux banquet, et se répondre entre elles en formant plusieurs chœurs des variations de Nymphes, des symphonies d’Amours.

1. La quatrième sphère : le « ciel » du soleil dans le système ptoléméen.

2. L’art de la Persuasion (ou force d’expression et de représentation), du grec energeia, « force en action / efficacité ».

3. Pour la fable d’Actéon Marino s’est inspiré des Métamorphoses d’Ovide (III, 138-252) et des Dyonisiaca (V) de Nonnos de Panopolis. Cf. aussi la seconde Idylle de la Sampogna

4. Un cor de chasse en ivoire.

5. Autrement dit, le théâtre sphérique et mobile finit par décrire un tour complet.

6. Il s’agit des hémisphères de la sphère céleste, délimités par ce que les astronomes appellent l’“horizon céleste”, aux côtés de “l’équateur” et du “méridien” célestes.

7. L’intérieur de la tige concave a été fileté de façon à en faire une sorte de vis.

8. Or cala, or sorge : cf. Ad. III, 165 (lumaca, onde si scende e poggia), et V, 112 (quella torta scala... onde si monta e cala), qui présentent une forme en spirale analogue.

9. Actéon est un petit-fils de Cadmos, héros du cycle thébain (cf. infra oct. 149).

10. Cf.V, 121 (7), où est évoqué un décor de selve, statue, palagi.

11. La coupole du Théâtre sphérique.

12. Il s’agit des toiles de fond servant d’arrière-plans des différents décors.

13. Les Muses, qui sont à Apollon ce que les Nymphes sont à Diane.

14. Surnom de Diane, née comme Apollon sur le mont Cynthos, lui-même situé sur l’île de Délos dans les Cyclades.

15. La vallée de Gargaphie, en Boétie, était consacrée à Diane.

16. Cf. I, 69 : di Nettuno il trafiero. Plutôt que du “poignard” très pointu qu’utilisaient les cavaliers, il pourrait s’agir ici aussi du symbole neptunien du trident, qui était traditionnellement l’arme offensive des « rétiaires » (catégorie de gladiateurs).

17. Cf. Le Tasse, Jérusalem délivrée, XX, 30 (combat de l’armée de Godefroy contre celle d’Émiren) : Bello in sì bella vista anco è l’orrore / e di mezo la tema esce il diletto.

18. Gli sproni : les éperons à la pointe de la proue des navires.

19. La fiction (ici le décor, la représentation) est si ressemblante qu’elle n’a rien à envier à la réalité.

20. Transposition paysagère de la scène précédente : la Lune correspond traditionnellement à Diane, comme les étoiles aux « suivantes nues » de l’octave précédente.

21. Arcturus, principale étoile de la constellation boréale du Bouvier, dans le prolongement de la queue de la Grande Ourse.

22. Le topos du « ciel descendu sur terre » est récurrent chez Marino. Cf. Ad. IV, 43 (Amour devant Psyché) : Sono in Ciel ? sono in terra ? Il Ciel traslato / è forse in terra ?.

23. Il s’agit des instruments (en particulier la « viole de gambe ») dont on joue en les tenant appuyés contre le genou.