L’art des devises au XVIe siècle en Italie : une théorie du symbole1

Emblèmes et devises au temps de la Renaissance (collectif), dir. M.T. Jones-davies, Paris, J. Touzot, 1981, p. 47 à 63

I – Le concept et l’image

         Le propos de cette étude est d’observer de quelle manière l’expression emblématique, à un certain moment de son évolution, et postérieurement au nouvel essor que lui conféra Alciati en 1531, fut contaminée et orientée dans certaines de ses manifestations, et notamment dans ses finalités éthiques et rhétoriques, par des courants philosophiques qui n’en étaient pas toujours constitutifs. À partir des années 1550,  de Giovio à Piccinelli et à Tesauro en passant par Ammirato, Ruscelli, Taegio, Farra, Contile, Palazzi, Bargagli, Capaccio et Torquato Tasso 2, pour ne citer que les principaux de ces auteurs, parurent d’innombrables recueils de devises, tantôt illustrés, tantôt constitués de simples descriptions verbales, et accompagnés le plus souvent de considérations théoriques 3. Des images inédites ou utilisées de façon originale y côtoyaient des figures d’emprunt puisées dans les recueils antérieurs 4. Les amateurs eurent bientôt à leur disposition un immense catalogue de figures et de recettes pour « fabriquer des concetti » en « métaphorisant les images ». Ainsi se constitua un répertoire emblématique de plus en plus riche, qui progressivement se complétait, s’épurait et se transformait jusqu’à devenir un vaste corpus collectif où l’apport de chacun, par delà les efforts faits pour rappeler l’identité de chaque inventeur ou porteur, finissait par se fondre dans une sorte d’anonymat. C’était un inventaire d’aphorismes en images, dans lequel ce siècle agité et anxieux projetait ses hantises et ses inclinations. Dès la fin du XVIe siècle l’art des devises – ou imprese – devint un genre autonome pourvu de règles propres, nettement distinct dans sa démarche des autres expressions emblématiques telles que l’emblème proprement dit, le blason ou le revers de médaille, avec lesquels elle conservait pourtant d’indéniables liens de parenté.

         Au premier plan des courants d’idées qui influèrent sur l’évolution des devises il faut ranger les dérivations modernes de la Rhétorique, des Topiques et des Analytiques d’Aristote : elles allaient jouer un rôle considérable dans la naissance du concettismo italien et de ses corollaires européens, surtout en ce qui concerne les rapports de la pensée et de l’expression (verbale ou figurée) : ces rapports étaient conçus comme une application rhétorique des thèses scolastiques sur les relations entre la forme et la matière, et sur le passage de la puissance à l’acte. Il s’agissait en l’occurrence du passage de l’idée inspiratrice – ou disegno interno – à sa formulation ou réalisation dans une œuvre donnée. Après 1560 les théoriciens de la devise, comme de leur côté les poéticiens de la métaphore, insistèrent sur la nécessité d’engendrer la meraviglia par la rencontre percutante et illuminatrice de la figure et de la sentence. La plupart, d’Ammirato à Tesauro, allèrent jusqu’à voir dans la devise une « métaphore peinte »5, une « image-idée »6.

         Parallèlement à ce développement relativement tardif des théories d’Aristote, on vit resurgir vers la fin du XVIe siècle des conceptions néo-platoniciennes dont les conséquences rhétoriques et gnoséologiques ne furent pas non plus étrangères à l’avènement de la poétique de la meraviglia, en particulier pour ce qui est du passage de l’intelligible au sensible à travers les mots et les images qui dévoilent et occultent à la fois. Ce qui est en jeu c’est le mécanisme même de l’expression symbolique, dont la devise était généralement tenue pour une des plus parfaites manifestations dans les temps modernes. C’est en ce sens que le néo-platonicien Capaccio, dans la dernière décennie du Cinquecento, parle de l’art de la devise comme d’une « nouvelle philosophie » capable de faire comprendre les mystères divins par « cognition intuitive »7.

         C’est en outre sur le tronc du néo-platonisme que devait se greffer la plupart des courants de pensée marginaux, de tendance gnostique ou hermétique, qui allaient à leur tour influer sur l’emblématique en faisant intervenir les nombres hébraïques et pythagoriciens, l’orphisme, et plus encore les hiéroglyphes égyptiens, qui pour beaucoup étaient les prototypes de l’expression symbolique dans l’antiquité, et donc les antécédents mythiques et mystiques de l’actuel art des devises 8. L’ensemble de ces mouvements d’idées s’inscrivait du reste dans un climat qui depuis le milieu du XVe siècle était favorable à toute forme d’expression médiate. La haute société de l’époque, qui fut le terrain d’élection de l’art des devises jusqu’à Giovio et même au-delà, était encore imbue d’idéaux héroïques et chevaleresques, et témoignait par ailleurs un goût prononcé pour les énigmes et les allégories, tant par jeu et dilettantisme raffiné que pour dissimuler au vulgaire ce qu’elle tenait à se réserver comme un privilège de classe. Ammirato, après avoir déclaré que la devise était une « philosophie du chevalier », pouvait encore écrire en 1562 : « De même que le philosophe, à travers les fables, commença à dévoiler ses merveilleux et divins secrets pour se faire entendre de certains et non de tous, de même le chevalier, pour dévoiler à certains et non à tous ses intentions, recourut à la fiction des devises ».9

         La conception récente de la devise, en particulier dans la perspective néo-platonicienne, plonge en fait ses racines dans la vieille conception humaniste qui voyait dans la nature un livre écrit et illustré de la main de Dieu sous forme de « signes » qu’il fallait apprendre à lire et interpréter. On pouvait ainsi, grâce à la connaissance de l’univers physique et de ses lois, remonter jusqu’à la source de cette écriture chiffrée. Cela corroborait étroitement le conseil réitéré des alchimistes d’observer les lois de la nature pour ensuite, par imitation et savante transposition, en faire usage dans le processus de réalisation de l’Oeuvre, que celle-ci s’entende matériellement ou spirituellement. De telles notions reposaient sur une autre constante de l’histoire des idées en Occident, à savoir la vieille correspondance entre le macrocosme (c’est-à-dire l’universalité de la « nature naturée », dans laquelle allaient précisément être puisées les figures de devises), et le microcosme représenté par l’homme, tant dans son composé corporel que dans son intériorité psychique et spirituelle. La croyance en cette analogie entre réalité matérielle et homme intérieur dérivait de l’intuition que des lois similaires régissent d’une part la nature visible, et d’autre part le non moins vaste monde invisible de l’âme et de l’esprit, que l’on savait doté de propriétés et de virtualités spécifiques difficilement connaissables et exprimables comme telles. Or c’est dans ce vivier qu’allaient être puisés à leur tour les concetti individuels, desseins politiques, règles de vie ou convictions éthiques des porteurs de devises. Pour les rendre apparents et communicables on jugea commode de les incarner dans les images des corps naturels avec lesquels ils présentaient quelque affinité de par l’analogie en question 10. Il suffisait  pour cela d’avoir métaphoriquement recours aux « signes » et « hiéroglyphes » proposés directement par la nature, ou indirectement par les recueils topologiques qui, de plus en plus nombreux dans la seconde moitié du XVIe siècle, offraient un classement préalable des significations des corps naturels, afin de pouvoir par leur intermédiaire « signifier » le concetto personnel du porteur 11.

         Ce fondement philosophico-rhétorique contribue largement à expliquer le souci de naturalisme et de vraisemblance qui, au dire de la plupart des auteurs, devait présider à cette « suprême et moderne science », selon l’expression de Bargagli. Il n’en allait pas de même pour les emblèmes qui, en raison de leur démarche plus allégorique que symbolique, admettaient non seulement la représentation du corps humain que rejetaient les devises, mais encore celle de fables mythologiques et de chimères 12. Or s’il est vrai que le symbole naturel est apte à servir de support a posteriori à un transfert métaphorique, l’allégorie en revanche, étant déjà le fruit d’une transmutation préalable de la réalité matérielle ou morale sous forme de fiction rhétorique, est ultérieurement inexploitable dans l’optique concettiste qui nous occupe ici 13.

         Dans ces conditions l’image, que les théoriciens s’accordent à nommer le « corps » de la devise, est bien plus qu’une simple illustration du concetto ou « âme » : elle en est la manifestation concrète et visible14. « Corps » et « âme » s’avéraient alors indissociables si l’on voulait que la devise, au lieu de rester lettre morte, fût véritablement une arguzia ou trouvaille ingénieuse, et plus encore une vivezza rhétorique, c’est-à-dire à la fois une image animée par l’esprit et un concetto « corporifié », et rendu de ce fait connaissable 15. C’était là, du reste, une application privilégiée de la formule de l’ut pictura poesis qui a marqué toute l’esthétique maniériste.

         Il importe relativement peu, dans la perspective qui est la nôtre, que pour certains auteurs l’« âme » de la devise soit non point le concetto mais le motto ou sentence qui accompagne la figure : dans les deux cas la démarche symbolique est la même 16. Ce qui compte davantage, c’est que la sentence ne peut et ne doit être, en bonne règle, ni l’expression pure et simple du concetto, ni une explicitation littérale de la figure 17, mais doit jouer le rôle de médiateur 18 entre ces deux extrêmes qui, en dépit des affinités signalées, appartiennent à des ordres de réalités censés être inconciliables. Il s’agit bien de cette « dissemblance dans la ressemblance » et de cette discors concordia qui constitue le substrat de toute la pensée maniériste sur le fonctionnement du langage. En d’autres termes, on a affaire à une variante de cette « jonction des natures diverses et presque contraires » 19 chère aux poéticiens de la métaphore du Tasse à Tesauro, non moins qu’à une application rhétorique de cette coïncidentia oppositorum dans laquelle les hermétistes voyaient le retour à une unité perdue 20. C’est pourquoi la sentence, en tant que pont et facteur de jonction, a presque toujours été jugée indispensable dans la nouvelle acception de la devise : elle seule, en effet, pouvait orienter la signification de la figure dans la direction voulue par cette « cause finale » qu’est l’expression du concetto 21.  La figure non accompagnée n’est pas suffisamment parlante, car chaque corps naturel est le support virtuel d’une multitude de significations dont une seule devra être isolée et exploitée 22. Loin d’être tautologique comme l’est généralement l’épigramme des emblèmes 23, la sentence des devises vivifie la figure et en extrait le sens, tout comme le silex extrait l’étincelle hors de la pierre à feu, pour employer l’une des images favorites de ces auteurs 24. Cette exploitation de l’image par le verbe aboutit à l’apparition d’un « troisième terme » seulement suggéré, qui est distinct de la figure et de la sentence, et qui est la seule véritable représentation du concetto 25. Celui-ci, par nature informulable à travers les moyens d’expression ordinaires, est ainsi traduit de façon volontairement indirecte et énigmatique 26.

         Il n’est pas étonnant que, depuis Giovio, on ait tant insisté sur la nécessité de faire usage dans la devise de figures décantées et stylisées, et de sentences brèves et allusives susceptibles de provoquer par osmose une intuition synthétique et fulgurante, comme dans les rapprochements métaphoriques préconisés par les poéticiens maniéristes et baroques. Ainsi dépouillée, la devise était plus apte à produire une connaissance instantanée de son objet – c’est-à-dire de ce concetto indivisible et de cette « unité intellectuelle »  dont parlait Farra 27 – , et elle n’amenait pas le lecteur à errer dans le dédale des ornements superflus, et dans les circonlocutions des didascalies et des commentaires édifiants qui faisaient la substance des emblèmes. Dans ces derniers la richesse du texte et des illustrations en déploiement allégorique n’avaient pas de limite imposée, et pouvaient théoriquement prendre une extension indéfinie ; et s’il est un fait que, dans les emblèmes, paroles et figures avaient pour effet de s’éclairer réciproquement, il est vrai aussi qu’elles auraient pu à la rigueur se passer les unes des autres en raison de leur fonction rhétoriquement pléonastique. Nous sommes loin de l’extrême économie de moyens, de la concision et de la sobriété qui font l’esprit de la devise.

         Ces considérations ne doivent pas faire perdre de vue un autre aspect de l’arrière-plan philosophique de l’impresa. Si les devises ont pour but avoué de « signifier » des concetti, elles ont aussi pour conséquence implicite de prêter un langage à la nature muette représentée par le corpus des figures, et de la presser de livrer le sens caché qui demeure comme en puissance dans les corps naturels ou artificiels tant qu’ils ne sont pas en quelque sorte fécondés par l’esprit du concetto, et sollicités par les paroles de la sentence. Ainsi conçue la devise n’est plus seulement une métaphore, elle est une authentique anamorphose : de même que, par un effet optique, une figure composée d’éléments disparates et non identifiables s’ordonne inopinément en un ensemble cohérent, intelligible et parfois instructif, de même aussi les corps naturels ou artificiels, par un jeu d’analogies conventionnelles ou de subtiles correspondances, se chargent de sens et deviennent les signifiants d’un signifié qui les transcende pour peu qu’on les envisage dans la perspective arguta évoquée jusqu’ici 28. Ils retrouvent de la sorte leur véritable destination, qui n’est pas seulement d’être les images plus ou moins parlantes de leur créateur, mais également, et symétriquement pourrait-on dire, d’être le miroir de la psyché humaine. L’homme fait plus, alors, que donner un sens à la nature, il semble bien en être le sens, et pouvoir de ce fait, dès lors que son regard devient capable de perceptions métaphoriques, voir partout autour de lui un reflet de son aventure intérieure, et apprendre ainsi à se connaître.

 

II – La « philosophie symbolique »29

         La plupart des recueils de devises avait pour but de répertorier les images : il n’en est pas, à notre connaissance, qui aient tenté de regrouper de même les concetti, et d’aborder d’entrée de jeu l’éthique qui leur est sous-jacente en s’adonnant à une récapitulation non plus syncrétique à partir des figures, mais synthétique à partir de leur sens (autrement dit à partir de ce que désigne leur orientation rhétorique fondée sur l’analogie). Dans cet immense appareil figuratif apparemment fragmentaire et hétérogène, les concetti individuels suggérés par chaque sentence particulière s’effacent pourtant, lors d’une lecture globale, pour faire place à un assemblage relativement cohérent de concetti universels. Mais ce n’est pas au sens où l’enseignement des emblèmes, quant à lui, est universel, c’est-à-dire virtuellement destiné à tous : dans le cas des devises il s’agit d’une universalité non pas dogmatique et secondaire, filtrée par la culture d’une époque, mais en quelque sorte essentielle, celle de la psyché humaine (mot par lequel nous désignons globalement les différents aspects de l’intériorité). Les personnalités des porteurs de devises finissent par interférer, par se confondre, et par former une présence unitaire dont nous sont livrés, par le biais de la démarche analogique, les intuitions et les convictions profondes, les contradictions intimes, les efforts pour échapper à la servitude du destin et de la mort. L’homme vit dans une forêt de signes. Tout dans l’univers lui rappelle ou lui révèle sa propre condition, partout il peut lire ce qu’il est ou voudrait être. Partout aussi il se projette, faute de pouvoir se saisir et se rectifier directement. Par un travail à la fois anxieux et enthousiaste dans les régions secrètes de lui-même, il s’attache à procéder à sa propre naissance en même temps qu’il observe autour de lui la lente gestation de l’univers. Il œuvre sur son image, sur son ombre, mais lui seul est l’enjeu véritable.

         En dépit de l’idéalisme foncier qui préside à la démarche de la devise, ce n’est point à proprement parler une morale qu’enseigne la contemplation de la nature, mais plutôt une forme de réalisme, voire un pragmatisme éthique, une connaissance du terrain sur lequel peut s’exercer le dynamisme de la volonté, et une appréciation de ses possibilités d’efficience. Cette finalité tournée vers le changement et la transformation (du monde et de soi-même) est peut-être ce qui explique le mieux le fait que les figures de devises – phénomènes astronomiques ou météorologiques, zoologie, botanique, minéralogie, etc. – ne soient pas seulement envisagées dans leurs propriétés statiques, mais qu’à l’approche du XVIIe siècle on s’intéresse de plus en plus au mouvement des corps et à leurs relations entre eux ou avec l’espace environnant. On montre les rayons du soleil qui tombent sur une surface d’eau sans pour autant l’assécher (VI NUMQUAM OBRUAR), ou l’eau qui éteint le feu mais ne peut en revanche entamer la résistance des rochers (CONANTIA FRANGERE FRANGUNT). C’est la chute d’une pierre entraînée par son poids (DONEC AD IMUM), un diamant qui, posé entre le fer et l’aimant, annule l’attraction magnétique (VIRES RESOLVIT UTRINQUE), ou le prisme qui décompose la lumière.

         C’est toutefois sur un fond de déterminisme, tantôt résigné et tantôt révolté, que naissent ces aspirations à un accomplissement. On a conscience que rien ne peut vraiment échapper aux lois inéluctables du destin, et que le meilleur moyen de les maîtriser est somme toute de s’y plier. Un ordre immanent dicte au soleil son parcours et son rythme (ME QUOQUE FATA REGUNT), transparaît dans le merveilleux tissage de l’araignée (LEX EXLEX), et soumet tous les corps à la pesanteur comme l’illustre la balance dont l’un des plateaux est chargé (PIEGA ONDE PIÙ RICEVE). Cet ordre immuable ne peut être contrarié que pour un temps, car la branche de palmier abaissée de force se redressera dès qu’on lâchera prise (OBDURANDUM ADVERSUS URGENTIA ou RECLINATA SURGIT), l’arbre que l’on taille repoussera (USQUE RECURRIT), et la nature, garante de l’harmonie universelle, reprendra toujours le dessus. C’est pourtant contre cette même nature qu’on va tenter de lutter, dans la mesure où elle conduit à une périlleuse passivité et constitue une entrave au libre arbitre. Aux lois de la pesanteur on opposera les propriétés magnétiques de l’aimant (ET PONDERA TRAHIT) : on représentera l’aimant attirant du haut d’une falaise des barres métalliques gisant en contrebas (TRAHIT ARDUUS IMA), ou encore une barre de fer miraculeusement retenue dans sa chute (NI RAPIARE CADIS). Tout se présente comme un rapport de forces, et l’équilibre des forces est généralement conçu comme un état idéal, qu’il s’agisse de l’équilibre statique d’un corps parvenu au plus bas de sa course  – comme dans le cas du torrent qui s’assagit en atteignant la plaine (QUIESCIT IN PLANO, ou TIENTI ALLA TERRA) –, ou mieux encore de l’équilibre dynamique résultant d’une confrontation de forces contraires ou complémentaires – comme l’illustrent les contrepoids de l’horloge (CONTRARIIS GRADIOR, ou AEQUIPONDIS TEMPERATIO), l’oiseau planant dans les airs (PENSO VIRES), ou le globe terrestre censé être en suspension au milieu du cosmos (PONDERIBUS LIBRATA SUIS). On admet donc que la pesanteur tant redoutée, symbole de chute et d’asservissement, puisse au contraire être transmuée en condition d’efficience et de liberté, comme l’enseigne là encore l’horloge mécanique mue par ses contrepoids (NON SINE PONDERE, ou DANT PONDERA LEGEM), ou le fil à plomb que seule sa lourdeur rend apte à exercer sa fonction (DIRIGIT DUM GRAVAT). En cela comme en toute chose on apprend à apprécier les avantages de chaque inconvénient, à savoir  que le bien ne va pas sans le mal ni la lumière sans l’ombre. C’est ce que signifie la devise de Marie de Médicis avec une chute d’eau et la sentence DE MI CAIDA MI ALBOR ; c’est aussi ce qu’enseigne le cadran solaire qui sans l’ombre unie à la lumière perdrait toute utilité (COMES LUMINIS UMBRA, ou IL RAGGIO NON MI VAL SE MANCA L’OMBRA) ; mais on peut citer également la lumière qui éblouit si elle n’est tamisée (NISI CUM DEFECERIT SPECTATOREM NON HABET, ou NEL TROPPO LUME SUO VIENE A CELARSI), ou encore l’escarboucle dont l’éclat est rehaussé par les ténèbres (IN TENEBRIS CLARIUS, ou AMAT OBSCURUM), et le cristal qui a son ombre comme n’importe quel corps opaque (E’ TUTTO LUCE E PUR NON È SENZ’OMBRA). De même si le scorpion a la propriété de donner la mort, il a aussi celle de guérir, comme le rappelle la devise de Louis de Gonzague avec la sentence QUI VIVENS LAEDIT MORTE MEDETUR. Mais pour que  cette marche sur le fil de l’épée soit couronnée de succès, encore faut-il savoir mêler les contraires dans un juste rapport, car seule la mesure et la régularité confèrent le privilège de la permanence : c’est ce dont témoigne l’image du soleil avec la sentence ULTRA NEC CITRA, ou CONTENTUS MEDIO.

         Il est une autre loi universelle dont il fallait s’accommoder : celle de la mort et de la fuite du temps. Pour essayer d’échapper à l’effroi qu’elle suscitait on s’efforça d’en comprendre le fondement : on observa que la nature entière est soumise à un processus cyclique, à l’image du compas qui en traçant le cercle revient immanquablement à son point de départ (QUA GRESSUM EXTULERAM REPETO) ; que les saisons et les travaux des champs se succèdent de façon régulière, comme l’indiquent les gerbes de blé avec la sentence FINIUNT PARITER RENOVANTQUE LABORES ; et que le soleil se couche pour réapparaître à l’aube du lendemain  (ITQUE REDITQUE). On en conclut que la disparition de la vie, tout comme celle de la lumière diurne, n’est que provisoire, voire apparente, en tout cas relative : le soleil ne poursuit-il pas sa course ailleurs lorsqu’il paraît s’éteindre (INCIPIT UBI DESINIT, ou RECEDO NON DECEDO) ? Bien plus, son éloignement est la condition de son retour (OCCIDIT UT SURGAT), tout comme la mort est la condition de la vie, comme l’illustre notamment la figure légendaire du phénix au milieu des flammes (PERIT UT VIVAT, ou VITA MIHI MORS EST) – qui recoupe étrangement le symbole ambivalent du scorpion –, et celle du pélican qui ressuscite ses petits avec son sang (MORTUOS VIVIFICAT). Parce qu’on s’accroche désespérément à la foi en une survivance, on se réjouit de constater qu’un nouveau rameau peut naître d’un tronc déraciné (VICI MEA FATA SUPERSTES, ou VITA TAMEN SUPEREST), que la vigne continue de s’enrouler autour de l’orme desséché (AMICITIA ETIAM POST MORTEM DURANS), et que la rose, même cueillie, ne perd point son parfum (ODOREM DECERPTA SERBAT). On fit remarquer que la lune éclipsée finit par triompher de l’ombre (HINC ALIQUANDO ELUCTABOR), que le soleil n’est pas éternellement voilé par les nuages (EMERGET, ou NON SEMPER IMBRES), que les arbres dépouillés ne tarderont pas à refleurir (NEC LONGUM TEMPUS), et que la barque échouée sur le sable à l’heure de la marée basse sera à nouveau soulevée par les flots (ADERIT MOX VENTUS ET UNDA).

         C’est pourquoi le temps et la mort ne sont peut-être pas les pires ennemis de l’homme. Plus redoutables encore sont l’illusion et l’ignorance qui le dépossèdent de lui-même. Le danger est partout présent, là même où on ne l’attend pas (LATET ANGUIS IN HERBA). Le papillon qui se brûle à la flamme avertit que le désir est souvent trompeur (COSÌ VIVO PIACER CONDUCE A MORTE), et le lierre qui en étreignant le mur le détériore enseigne à se défier des amitiés les plus sincères (AMPLECTENDO PROSTERNIT). La nature elle-même est parfois aveugle dans ses choix : l’aimant qui attire le fer délaisse l’or et les pierres précieuses (PRETIOSA RELINQUIT), et l’aiguille de la boussole abandonne la direction du pôle si un aimant, là encore, l’en détourne (FACILIS REMOVETUR AB ALTO). Maintes apparences sont mensongères, depuis les lunettes à facettes qui multiplient le nombre des objets (SPECIES DECIPIT), jusqu’au microscope qui grossit les images (MINIMA GRANDESCUNT), et au prisme qui par ses irisations embellit la laideur (VEL FOEDA NITESCUNT). Et s’il est vrai que certains corps, tel le cristal, laissent voir au dehors ce qu’ils sont au-dedans (EODEM ET INTUS), d’autres en revanche se dissimulent sous de fallacieuses couleurs, comme ces pierres brutes que l’on a peintes (PICTAE AT NON INCISAE). Il existe toutefois des moyens de se défendre de ces pièges ; il suffit pour cela de se conformer aux propriétés de la pierre de touche (SIC SPECTANDA FIDES), de l’équerre (SIC NON DECIPITUR), du niveau (AEQUA DIGNOSCIT), ou du sextant de marine qui permet de ne point perdre la bonne direction (FIRMO INTUITU REPERIT). Ces instruments symbolisent la vertu de discernement, qui résulte en particulier de la rectitude.

         Tout comme l’illusion, les autres périls de l’existence peuvent avoir leurs palliatifs. Si l’espace est souvent ressenti comme un obstacle insurmontable, le porc-épic qui envoie ses épines à distance (COMINUS ET EMINUS) ou la lunette astronomique (PROCUL ET PERSPICUE, ou ET REMOTISSIMA PROPE) prouvent qu’il est possible de suppléer à cet écueil. Si les bêtes venimeuses abondent, il en est aussi, telle l’hermine (MALO MORI QUAM FOEDARI), ou le paon (IMPURITATIS IMPATIENS), qui fuient d’instinct les poisons et les impuretés. Certains corps comme l’or affiné (RUBIGINIS EXPERS) ou le diamant (MACULA CARENS) témoignent eux-mêmes d’une pureté parfaite. La nature marâtre se change souvent en providence : c’est le soleil qui se lève pour réjouir le monde (ET ORIENS CUNCTA LAETIFICAT), la pluie qui tombe pour nourrir le sol aride (UT GERMINET), ou l’abeille qui butine pour fabriquer le miel (UT PROSIM).

         Avec une insistance particulière, les inventeurs de devises ont tenu à démontrer les bienfaits des épreuves et des tribulations qui permettent de porter les corps naturels et artificiels à leur perfection, et qui parallèlement affermissent les forces de l’âme. C’est ce que symbolise l’encens qui n’embaume que s’il est brûlé (CONTRITUM DELECTAT), la pierre à feu qui, frottée, produit des étincelles (NON SINE ICTU), les métaux purifiés par le feu (RUBIGO CONSUMITUR, et NON LAEDITUR SED PROBATUR), le champ qu’on laboure pour le rendre fertile (SAUCIATA UBERIOR), la balle qui rebondit lorsqu’on la frappe (CONCUSSUS SURGO), ou la cithare dont on tend les cordes avant d’en jouer (NON NISI EXTENSAE). Ceci dénote, comme nous l’avons déjà signalé, une vive sensibilisation à tout ce qui concerne la transmutation des substances, la modification des formes, et les changements de condition ou de destination : c’est l’arbre que l’on émonde, la pierre brute que l’on dégrossit, ou les monnaies que l’on frappe. De cela va résulter, dès le XVIe siècle mais plus encore au XVIIe, une vaste réhabilitation du rôle des outils. Ces derniers étaient considérés comme des extensions artificielles des virtualités inhérentes à la nature, et symbolisaient la possibilité d’achèvement du vieil univers créé par Dieu, de ce « monde matériel non encore porté à son ultime perfection » dont parlera Piccinelli en 1653. Sans support instrumental le monde ne serait qu’une matière informe et de ce fait réduite à l’impuissance et à l’insignifiance, comme l’illustre la cithare à la corde cassée avec la sentence DEEST MATERIAE FORMA. Aussi s’adonne-t-on dans tous les domaines à une quête enthousiaste de réalisation, sans perdre de vue que l’incessante mutation des formes et des substances est la condition d’un acheminement vers un état meilleur. C’est ce que représente la chenille métamorphosée en papillon (MUTATUS EXIT, ou RESURGIT CLARIOR), ou le fer que l’on chauffe à blanc pour l’amener à une sublimation de sa nature première (MELIORIS CONSORS NATURAE). Le changement d’état peut du reste provenir aussi d’un changement de milieu, comme l’enseigne le corail qui une fois extrait de l’eau passe de l’état végétal à l’état minéral (FUIT HERBA SUB UNDA), et alors seulement devient la pierre précieuse que l’on connaît (PRETIUM EXTRA FLUCTUS).

         Certaines vertus sont toutefois requises pour que les transformations s’opèrent convenablement et efficacement : la faculté d’adaptation, voire une certaine abnégation sont de règle. C’est grâce à ces qualités que le corail  pourra se métamorphoser (NE L’ONDA ONDEGGIA E FRA LE PIETRE È PIETRA), que le fer pourra être ennobli par le travail du forgeron (IN QUASCUMQUE FORMAS, ou AD FABRI STRUCTURAM). Tout enseigne, comme la fable du chêne et du roseau, que la souplesse rend invulnérable : les joncs ne sont pas abattus par le vent (FLECTO MA NON FRANGOR), car c’est le faible qui triomphe du fort. Au fil des jours les gouttes d’eau viendront à bout de la dureté de la pierre (ET MOLLI CAVATUR, ou NON VI  SED SAEPE CADENDO), le rémora est capable de freiner la course des navires (SIC PARVIS MAGNA CAEDUNT), et l’humble levier soulève d’énormes poids (MINIMO QUOCUMQUE JUVANTE). Dans la foule des vertus que célèbrent les devises – la sobriété, la patience, la prudence, la pondération, etc –,  l’égalité d’humeur occupe une place privilégiée. Elle est souvent symbolisée par des figures géométriques comme le triangle équilatéral ou le cube (QUOQUO VERTAS, ou STAT SEMPER IN RECTO), par le miroir qui reflète impartialement et indifféremment tous les corps qui se trouvent dans son champ (OMNIBUS IDEM), ou par le soleil qui reste immuable dans sa course (UBIQUE SIMILIS).

         Les plus hautes vertus, comme les objets précieux, présentent souvent la particularité de résider dans des lieux clos et retirés, inaccessibles au regard, dans les profondeurs de l’intériorité, dans des zones où règne le silence : on voit une perle à l’intérieur d’une coquille à peine entrouverte avec la sentence ABSCONSIONE SECURA, ou PRETIOSA IN IMO, ou le ver à soie qui s’enroule dans son cocon (UT PURUS HINC EVOLEM). C’est de l’intérieur que semblent naître les forces qui animent secrètement l’univers, comme le symbolisent l’horloge mue par ses seuls rouages (UT INTUS MOVETUR, ou IL VALORE È DI DENTRO), la pierre à feu aux virtualités occultes (LATET IGNIS, ou E PERCHÉ NON APPAR ALTRI NO’L CREDE), ou le volcan qui n’est éteint qu’en apparence (CAUSA LATET). Parce qu’on devine la présence d’une énergie latente dans les corps, on affirme parfois leur orgueilleuse autonomie, et la grandeur qu’il y a à se suffire à soi-même : ainsi l’ambre attire la paille sans l’intervention d’aucun agent externe (VIRTUS EX ME), l’escarboucle n’a pas besoin d’autre lumière pour briller dans les ténèbres (SUA SE LUCE), et les eaux de la mer n’obéissent qu’à leurs propres lois (NON HABET UNDA DEOS).

         Mais plus fréquemment on évoque à l’inverse la dépendance à l’égard d’une source d’énergie extérieure qui communique vie et mouvement : c’est la végétation tributaire du soleil (SOLUM SOLE, ou SI DIVA LUX MIHI), l’aiguille aimantée qui ne quitte pas la direction du pôle (INOCCIDUAM SEQUOR), ou l’horloge arrêtée qui requiert l’intervention d’autrui (DALL’ALTRUI CURA IL GIRAR MIO DIPENDE). C’est aussi ce que signifie l’image de l’arbre renversé qui projette ses racines vers le ciel avec la sentence INDE, ou celle des perles qui, faites de rosée tombée du ciel comme on le croyait encore, déclarent leur céleste provenance (SEMINE AB AETHEREO). On remarque un peu partout l’insistante nostalgie d’un lieu mythique des origines, qui se manifeste par une aspiration vers les hauteurs ou encore vers un pôle ou un centre conçus comme un idéal. C’est ce que montre l’oiseau planant au-dessus du labyrinthe (INCOLUMIS INCOLA COELI), l’arbre qui dresse ses branches vers le ciel (ALTIORA PETO), les flèches lancées vers une cible (DONEC COLLINEM), ou les rayons du cercle qui convergent vers le centre (ILLUC OMNES). Ce besoin d’unité s’accompagne d’une intuition bien enracinée de la similitude, voire de l’identité des contraires, comme l’indique le cercle qui symbolise l’alpha et l’oméga de la manifestation (CONTRARIO PERFICITUR), ou encore le globe terrestre qualifié d’EXTREMORUM EXPERS. On réaffirme parallèlement que la plénitude de l’harmonie réside dans la simultanéité du un et du multiple, dans cette discors concordia que le Tasse et ses contemporains ont célébrée avec tant de foi. On représente le jaspe aux reflets irisés pour signifier la trinité dans l’unité (UNUS SED TRICOLOR), la forêt de tuyaux dont est composé l’orgue (UNUM IN MULTIS), ou les différents outils de l’architecte, qui vont servir à une même construction (VIS OMNIBUS UNA). Dans ces conditions il n’est point besoin de choisir entre la tendance involutive vers l’unité et la tendance expansive vers la variété du grandiose « théâtre du monde » : le mieux serait sans doute de pouvoir assumer simultanément ces deux extrêmes, et d’imiter le soleil qui demeure non agissant et comme retiré en lui-même malgré son intense et permanente activité (IMMOTUM IN MOTU), ou le compas dont une branche reste fixée au centre tandis que l’autre, dans le même temps, trace la circonférence (CIRCUIT LOCO MANENS). Rien peut-être ne résume mieux que ces variations sur le thème classique du FESTINA LENTE l’enthousiasme à la fois inquiet et serein qui caractérise l’âge d’or des devises.

         Il serait vain de vouloir ranger dans un courant culturel particulier l’éthique qui se dégage de cet ensemble de métaphores figurées. Elle se situe à un carrefour d’influences diverses, voire contradictoires, comme nous l’avons sommairement démontré dans la première partie de cette étude. La théorie scolastique des universaux y côtoie l’intuition des Idées platoniciennes, un vitalisme humaniste persistant s’y double d’une vision pré-cartésienne et mathématique du monde. En fait l’art des devises plonge de profondes racines dans la sensibilité non moins que dans les idées du XVIe siècle : il est l’œuvre collective de plusieurs générations qui, par touches successives, nous ont ainsi livré un certain visage d’elles-mêmes. Avec le recul du temps ces images se regroupent comme les pièces d’un puzzle, et forment un tableau synthétique qui révèle non plus telle ou telle personnalité particulière, mais la physionomie de tout un siècle 30.

         Il n’aurait pas été possible de parvenir à de semblables conclusions à partir des emblèmes contemporains : ceux-ci n’assument pas les mêmes fonctions de dévoilement fondé sur un procédé déductif et sur des sous-entendus rhétoriques. Ils répondent du reste à une autre esthétique de l’art figuratif : ils rappellent le goût des grands espaces foisonnants de figures en mouvement, et cette tendance à l’infiniment grand qui sera le propre de la mentalité baroque. La devise, au contraire, ramassée sur elle-même, dissimulée dans son apparente insignifiance, correspond plutôt au goût maniériste de la miniature, et participe de l’exploration de l’infiniment petit 31. Elle décompose la nature pour chercher de façon répétitive dans chaque élément constitutif le fin mot de l’ensemble. Ces deux démarches, celle de la devise et celle de l’emblème, s’avèrent en définitive étroitement complémentaires, et illustrent dans leur dualité même la double tendance involutive / évolutive dont on disait plus haut qu’elle correspondait à un idéal éthique de ce temps.


Marie-France Tristan



NOTES

1 - Cf. notre article Science et rhétorique dans les devises au XVIe et XVIIe siècles en Italie, in « Lett. e scienze nella storia della cultura ital. », Congrès de l’AISLLI 1976, Manfredi éd., Palerme 1978, pp 476-496.

2 - Paolo Giovio, Dialogo delle imprese militari e amorose, Rome 1555, récemment republié chez Bulzoni, Rome 1978, avec une introd. de Maria Luisa Doglio.
- Scipione Ammirato, Il Rota overo dell’imprese, Naples 1562.
- Girolamo Ruscelli, Le imprese illustri, Venise 1566, éd. cit. Venise 1572.
- Bartolomeo Taegio, Il Liceo… dove si ragiona dell’arte di fabricare le imprese conformi ai concetti dell’animo, Milan 1571.
- Alessandro Farra, Il Settenario dell’humana riduttione, Venise 1571, dont la septième et dernière partie est consacrée aux devises.
- Luca Contile, Ragionamento sopra le proprietà delle imprese, Pavie 1574.
- Giovanni Andrea Palazzi, I Discorsi sopra le imprese, Bologne 1575.
- Scipione Bargagli, Dell’imprese, Sienne 1578 ; nous citons à partir de l’éd. augmentée de Venise 1594.
- Giulio Cesare Capaccio, Delle imprese, Naples 1592.
- Torquato Tasso, Il Conte overo de l’imprese, Naples 1594 ; éd.cit. I Dialoghi, Florence 1958.
- Andrea Chiocco, Discorso della natura delle imprese e del vero modo di formarle, Vérone 1601.
- Filippo Piccinelli, Il Mondo simbolico o sia università d’imprese, Milan 1653.
- Emanuele Tesauro, Idea delle perfette imprese esaminata secondo gli principii di Aristotele, Florence, Olschki 1975, avec une substantielle introd. de Maria Luisa Doglio. Ce traité, datable entre 1622 et 1629, et resté inédit pendant trois siècles, a été modifié et repris par l’auteur dans un chapitre de son célèbre Cannocchiale aristotelico (Turin 1654), qui est la Somme du concettisme italien ; éd. cit. Rome 1664.

3 – On trouvera dans l’ouvrage fondamental de Mario Praz Sudi sul concettismo (1934) – dont la traduction anglaise Studies in Seventeenth Century Imagery est parue à Londres en 1939 – une bibliographie exhaustive de ces recueils et traités. Outre Ernst H. Gombrich qui réserva un court chapitre à la question des devises dans ses Icones Symbolicae de 1948 – auj. dans Immagini simboliche, Turin, Einaudi 1978, pp. 228-234 – , la plus importante contribution théorique après celle de Praz est la Théorie de l’expression figurée dans les traités italiens sur les Imprese, 1555-1612, de Robert Klein, in « Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance », 1957, auj. dans La forme et l’intelligible, Gallimard 1970, pp. 125-150, qui sera l’éd. consultée. Klein est l’un des premiers critiques contemporains à s’être intéressé au « fondement philosophique, soit implicite, soit reconnu et avoué, de ce nouveau  langage symbolique », et il fait remarquer que les discours des théoriciens de la devise au XVIe siècle, « bien oiseux en apparence, touchent en réalité au point central de l’anthropologie philosophique du maniérisme, le problème de l’expression » (Op. cit. p. 129). Il ajoute un peu plus loin que même si ces auteurs n’avaient pas toujours « une conscience très nette des problèmes philosophiques », toutefois « la structure de l’impresa est telle que les lieux communs rassemblés pour la fonder théoriquement se groupaient d’eux-mêmes selon les lignes de force qui donnaient à une philosophie sous-entendue une forme d’une précision frappante » (Ibid. p. 131). Plus loin encore, en conclusion de son étude : « La théorie de l’impresa, insignifiante en soi, mais très favorablement « située », reflète avec une remarquable richesse et fidélité la conscience que l’esprit humain avait alors de son fonctionnement » (Ibid. p. 149 ; c’est nous qui soulignons dans les deux cas). Cette judicieuse analyse du renouveau qui s’opère paradoxalement dans la pratique d’un art aussi ancien, fait en partie écho aux sévères paroles du « moderniste » Tesauro : l’antiquité a beau avoir fait largement usage de symboles, d’emblèmes et de devises, « néanmoins ceux qui louaient ces figures ne savaient pas pourquoi elles étaient dignes de louange ; et ceux qui les composaient n’avaient pas une science suffisante pour les analyser, comme les taupes qui souvent engendrent sans connaître leur progéniture » ; et il conclut aussitôt après : « Bien que les devises soient de tous les temps, leur science naquit cependant au siècle passé » (Il Cannocchiale, p. 736), et ne cessa, à l’en croire, de se perfectionner jusqu’à lui.

4 – Plusieurs de ces devises étaient connues de tous pour avoir appartenu à des princes ou dignitaires de l’époque : c’est le cas du porc-épic de Louis XII, ou de la salamandre de François Ier. Après Alciati la mode des devises s’étendit rapidement des cours princières à la bourgeoisie nouvellement anoblie, et à l’ensemble des Académies. Les milieux ecclésiastiques, et en particulier les Jésuites qui l’utilisèrent comme un véhicule pédagogique, jouèrent un rôle très important dans sa propagation.

5 – E. Tesauro, Il Cannocchiale, p. 755 et 775.

6 – L’expression est de R. Klein, Op. cit., p. 130.

7 – G. C. Capaccio, Op. cit., I, 1, p. 1b.

8 – Cf. R. Klein : “ Les trattatistes qui racontent après Giovio l’origine de l’impresa ne manquent jamais de citer comme inventeurs, à côté des guerriers, tous les dépositaires de la sagesse mystérieuse des Anciens, les Égyptiens dessinateurs d’hiéroglyphes, les cabalistes, et souvent Noé, Adam ou même Dieu le Père » (Op. cit., p. 127). Cf. aussi M. L. Doglio, pour qui l’art des devises « répondait au désir de créer un équivalent moderne de l’écriture sacrée des Égyptiens, capable de représenter en une seule image comme implicites et donc dissimulées les différentes parties d’un discours » (Introd. à L’Idea de Tesauro, Op. cit. p. 9). Voir à ce sujet le traité de Taegio (Op. cit. p. 3b et 4a), ainsi que les pages fondamentales de Farra (Op. cit., passim). La première édition des Hieroglyphica d’Horapollo dans le texte grec parut à Venise en 1505. Non moins déterminante et significative est la publication cinquante ans plus tard des Hieroglyphica sive de Sacris Aegyptiorum literis commentarii de Gian Pierio Valeriano (Bâle 1556), ouvrage mytho-hermétique inspiré des bestiaires et lapidaires médiévaux, ainsi que des naturalistes de l’Antiquité. L’auteur y dresse un bilan systématique des différentes significations morales et métaphysiques attribuables à l’ensemble des corps naturels et artificiels, et servit de source à plusieurs générations d’auteurs d’emblèmes et de devises.

9 – Sc. Ammirato, Op. cit. p. 14 et 16. Même sous la plume de Tesauro la devise est un « langage de héros » (Il Cannochiale, p. 749), car « à l’origine elle fut inventée par les héros eux-mêmes, pour manifester au vulgaire inepte leurs hautes pensées sous des dehors colorés, tout comme la sagace Minerve qui cacha son héros dans la nuée pour que seuls les nobles regards (littéralement “les regards royaux”) puissent le voir » (Ibid. pp. 775-776). R. Klein souligne quant à lui la « double origine réelle de la vogue (des devises) : l’affectation chevaleresque des hommes d’armes et l’affectation philosophique des milieux littéraires » (Op. cit. p. 127).

10 – Résumant les arguments de ses prédécesseurs, voici la définition que vers 1622 Tesauro donnera de la devise idéale : « C’est un signe qui, sous la forme d’un argument poétique fondé sur une parfaite similitude de proportion que l’on tire d’une belle et apparente propriété et que l’on suggère par le biais d’une sentence ingénieuse, révèle une noble pensée de l’âme de facon appropriée et avec convenance » (Idea p. 38).

11 – Cf. Sc. Bargagli : « Les devises se présentent à notre esprit avec deux significations : l’une est la qualité naturelle ou l’usage artificiel de la chose figurée dans cette devise, et l’autre est le sentiment propre à l’âme de l’auteur. Il faut écarter la première, c’est-à-dire la qualité ou l’usage susdits, et recourir à l’autre, c’est-à-dire au sentiment ou concetto de l’âme, en se fondant sur la similitude que ce concetto présente avec la qualité ou l’usage en question » (Op. cit. p. 229). Les illustrations de ce procédé analogique sont extrêmement nombreuses dans la littérature des devises. Voici par exemple le commentaire de Bargagli sur la représentation du dé à jouer avec la sentence SEMPER JACTATUS SEMPER ERECTUS : « De même que le dé, en raison de sa forme cubique et régulière, et en tout point semblable à elle-même (…) a la propriété de retomber droit et en équilibre de façon toujours identique, et cela bien que son destin soit d’être continuellement mû, agité et secoué ; de même l’homme de bien, noble et affranchi des vicissitudes du monde et de la fortune, quelles que soient la gravité et la multiplicité des coups et revers qui l’assaillent, n’est en aucun cas dépossédé de lui-même, mais demeure toujours le même homme, posé et établi uniquement sur la base d’une inébranlable vertu ». Un peu plus tard Giovanni Ferro, dans son Teatro d’imprese rédigé en 1606 et publié à Venise en 1623, offrait un exemple non moins explicite, bien que plus baroque dans sa formulation : « Le soleil, par ses rayons, attire dans ce grand monde la vapeur de la terre, et celle-ci retourne ensuite à la terre après s’être changée en pluie ; de même dans le petit monde qu’est l’homme le cœur se liquéfie sous l’action des flammes de l’amour et de la douleur dans l’ardente fournaise de la poitrine, et il fait jaillir par les yeux des larmes de peine et de joie » (T. II, rubrique « Boccia »).

12 – Tandis que Giovio, qui pourtant rejetait la représentation du corps humain dans la devise, acceptait encore celle des « animaux bizarres et des oiseaux fantastiques » (Op. cit. pp. 37-38), Ammirato, en 1562, prenait déjà parti pour un strict naturalisme : « La véritable devise, disait-il, est celle dont la figure représente une plante, une pierre, un animal, le soleil, la lune, ou d’autres choses de ce genre » (Op. cit. p. 9). Trente ans plus tard Capaccio insistait lui aussi sur cet impératif en glissant de la notion de naturalisme à celle de réalisme : « Tous les objets qui peuvent s’offrir à l’intellect peuvent aussi constituer la matière de la devise à condition de n’être ni des fantômes ni des larves, mais quelque chose de bien réel et d’existant » (Op. cit. p. 21a). Pour pratiquer cet art, il est de toute façon indispensable selon lui de « connaître les propriétés des choses naturelles » (Ibid. p. 40b). Une génération s’écoulera encore avant que Tesauro s’attarde à son tour sur ce point : « La devise idéale – dit-il – ne doit pas se fonder sur une quelconque propriété fabuleuse ou chimérique, mais seulement sur une propriété réelle et naturelle » (Idea, Op.cit. p. 57). Ces restrictions n’excluaient pas toutefois la représentation de certains corps chimériques devenus familiers (comme le phénix ou la licorne), ou celle des corps géométriques et des corps artificiels car, selon Tesauro, « bien que les corps soient artificiels, néanmoins leurs propriétés sont naturelles » (Ibid p. 60). On note même un intérêt croissant pour ce genre de figures à l’approche du XVIIe siècle, conformément à l’évolution en cours un peu partout en Europe vers une conception moins vitaliste et plus mécanique et abstraite de l’univers.

13 – Cf. Tesauro : « On doit se contenter (dans la devise) d’un rapport entre deux choses vraies, sans aller chercher de rapport saugrenu entre ce qui est vrai et ce qui est fictif » (Ibid. p. 57).

14 – Dès 1555 Giovio rangeait au nombre des cinq conditions requises pour l’invention de la « devise parfaite » l’introduction de la sentence « qui est l’âme du corps », et l’établissement d’une « juste proportion entre l’âme et le corps » (Op. cit. pp. 37-38). M. L. Doglio fait justement remarquer que les termes d’ « âme » et de « corps » impliquaient un rapport hiérarchique implicite entre figure et sentence au profit de cette dernière, ce qui peut expliquer la progressive valorisation de la trouvaille verbale par rapport à la représentation figurée au cours du second Cinquecento (Op. cit. p. 12). La position extrême en ce domaine est peut-être celle du Tasse en 1594 : « L’âme est infinie et divine, alors que le corps est fini et périssable : entre elle et le corps il ne peut donc y avoir de proportion ; de même, si la sentence est comme l’âme de la devise et participe de la divinité et de l’immortalité du poète, il ne peut y avoir aucune proportion entre elle et la figure » (Op. cit. pp. 1120-1121).

15 – Ruscelli, en 1556, dans un discours sur l’ouvrage de Giovio, est le premier à déclarer que figure et sentence ne doivent avoir de sens que par leur rapport mutuel. Après lui Ammirato donna cette définition simple et concise de la devise : « Une signification de notre esprit sous un nœud de paroles et d’images » (Op. cit. p. 10). Tesauro  soutiendra également que « la sentence sans la figure ne parle pas, et que la figure sans la sentence n’a pas de langue » (Il Cannocchiale, p. 745). Selon lui cette matérialisation du concetto en image est rendue nécessaire par la difficulté qu’il y a à ce qu’un « esprit délié (i.e. non incarné dans un corps de devise) puisse communiquer son intention à un autre esprit par le seul canal de la pensée » (Ibid. p. 747).

16 – Chez certains auteurs, du reste, la correspondance entre le composé humain et la structure de la devise ne se limite pas au simple rapport de l’âme et du corps. C’est le cas de Farra qui conçoit la devise comme un « huomo ideale » (Op. cit. p. 268b) et qui voit dans le concetto l’équivalent de l’âme intellectuelle, dans la sentence une similitude de l’âme rationnelle, dans la proportion entre figure et sentence un synonyme rhétorique de l’esprit vital, dans la propriété de la figure « le tempérament » du corps représenté, et enfin dans la figure elle-même le corps matériel proprement dit (Op. cit. p. 271a et b).

17 – Cf. G. Ruscelli en 1566 : « Les devises diffèrent notablement des emblèmes car dans ceux-ci les paroles déclarent ce que sont les figures, tandis que dans la devise l’intention de l’auteur se déduit en partie des figures et en partie des paroles » (Op. cit. p. 25).

18 – Cf. le « moyen terme » dont parle Tesauro pour définir la propriété de la figure, sorte de dénominateur commun – que la sentence a précisément pour fonction essentielle de désigner – entre parole et figure (Il Cannocchiale, p. 778).

19 – Torquato Tasso, Op. cit. p. 1061.

20 – Tesauro explique « le plaisir particulier que procurent les devises » par la fusion métaphorique de « deux objets l’un dans l’autre », et donc par la réduction d’une réalité multiple et dispersée à une unicité ou condensation au niveau du langage, ce qui répond selon lui à une aspiration naturelle de notre esprit (Il Cannocchiale,  p. 749).

21 – Sc. Bargagli, Op. cit. pp. 80-81.

22 – Cf. là encore Sc. Bargagli, pour qui la sentence ou « cause instrumentale » de la devise « n’exerce pas d’autre rôle que de découvrir par les paroles la qualité propre à la figure, et en la découvrant de la distinguer des autres qualités qui ont leur siège dans cette même figure » (Op. cit. p. 81). Tesauro sera plus explicite encore : «  La sentence – dira-t-il – est ce qui oriente la réflexion ; en délimitant l’objet de celle-ci elle réduit la propriété (de la figure) de la puissance à l’acte et sert de guide à l’intellect (…), car son office propre est de séparer les propriétés les unes des autres » (Il Cannocchiale, pp. 779-780).

23 – Cf. B. Taegio (Op. cit. p. 6a et svtes, à travers le résumé de R. Klein, Op. cit. p. 132) : « Il y eut d’abord les mots-symboles, la cabale ; puis les figures-symboles ou hiéroglyphes ; puis l’association des deux moyens, mais soit inepte, soit « superflue » (tautologique) ; finalement l’impresa actuelle, qui est parfaite ». Klein ajoute ailleurs que ce rejet de la démarche pléonastique dans l’acceptation moderne de la devise est cause de l’exclusion de la figure humaine car, dit-il, « l’homme est déjà impliqué dans le concetto initial de ce qui s’appelle son impresa – littéralement son « entreprise » » (Op. cit. p. 137). Il rejoint Tesauro qui expliquait cette même exclusion par le fait qu’ « entre homme et homme il y a non pas ressemblance mais identité » (Il Cannocchiale, p. 762).

24 – Cf. Gabriele Paleotti dans son Discorso intorno alle imagini sacre e profane (1582) : le rôle de la sentence est de « donner âme et vie à l’image », et « celle-ci… demeure pareille à un corps sans vie si elle n’est vivifiée par quelque parole » (dans Trattati d’arte del Cinquecento, Laterza 1961, vol. II, p. 461). Cf. également le Tasse, pour qui la fonction de l’inventeur est de « conférer à la devise un nouvel intellect grâce aux paroles, en immortalisant ainsi la vie de la peinture qui par elle-même serait aussi bornée que l’âme des animaux et des plantes » (Op. cit. p. 1060). Cf. enfin Tesauro, pour qui il faut introduire la sentence dans la devise « afin que de la greffe de l’écriture sur la figure puisse germer la signification » (Il Cannocchiale, p. 748 ; c’est nous qui soulignons).

25 – Cf. Sc. Ammirato : « L’âme n’est pas plus l’interprète du corps que le corps ne l’est de l’âme. Mais à partir de l’âme et du corps réunis, comme à travers des hiéroglyphes, celui qui voit et qui lit interprète la pensée occulte de l’auteur à partir du nœud de ces deux choses » (Op. cit. pp. 13-14). Il ajoute ailleurs que la meraviglia produite par la devise « ne dérive ni du sens caché de la figure ni de l’obscurité de la sentence » mais qu’ « elle consiste en un accouplement de deux choses intelligibles qui, parce qu’elles constituent un troisième terme qui n’est ni l’une ni l’autre de ces deux choses mais une combinaison des deux, engendre de ce fait la meraviglia » (Op. cit. pp. 29 et 31-32 ; c’est nous qui soulignons).

26 – Nombreux sont ceux qui ont souligné la « non représentativité » du concetto en tant que tel, et qui en conséquence ont incité à ne point prétendre l’énoncer de façon plénière : « La devise prise dans son ensemble – disait Chiocco en 1601 – ne doit jamais exprimer le concetto de façon manifeste » (Op. cit. p. 12). Tesauro, de son côté, a déclaré que la sentence doit être un « ingénieux laconisme qui laisse imaginer ce qu’il ne dit pas » (Il Cannocchiale, p. 745).

27 – A. Farra, Op. cit. p. 272b. Sans compter Tesauro qui a longuement  insisté sur la question de la connaissance intuitive une et indivisible, voici plus tardivement, mais dans la même ligne de pensée, ces mots du Père le Moyne : « Si je ne craignais de monter trop haut, et d’en dire trop, je dirais qu’il est de la devise… comme de ces images universelles données aux esprits supérieurs, qui représentent en un moment, et par une notion simple et dégagée, ce que les nostres ne peuvent représenter que successivement, et par une longue suite d’expressions, qui se forment les unes après les autres, et qui s’embarrassent plus quelquefois  qu’elles ne s’aydent par leur multitude » (De l’art des devises, Paris 1666, cité par Mario Praz, Studies …, éd. Rome 1964, p. 60). Et plus explicitement encore le Père Bouhours : « (La devise) est courte parce qu’elle ne prend que le fin des choses …, ainsi bien loin de charger l’esprit de beaucoup de matières, et de lui donner une nourriture qui l’accable, elle ne le nourrit que d’essences » (6è des Entretiens d’Ariste et d’Eugène, Paris 1671, cité par Mario Praz, Ibid. p. 61).

28 – L’anamorphose à miroir cylindrique a servi de devise avec la sentence INFORMA FORMAT ET APTAT, qui résume d’une certaine manière tout le mécanisme de l’impresa. Tesauro, quant à lui, a loué comme particulièrement ingénieuse la devise de l’Académie des Solinghi qui représente une anamorphose à miroir avec la sentence OMNIS IN UNUM (Il Cannocchiale, pp. 799-800).

29 – L’expression est d’Alessandro Farra : c’est ainsi, en effet, qu’il intitule son chapitre sur l’art des devises (Op. cit. p. 157 à 280).

30 – La légitimité de cette lecture nous paraît trouver un fondement dans l’étymologie du mot emblème (entendu au sens large et antérieurement à la spécification qui se fait jour au milieu du XVIe siècle). Le grec emblêma signifiait en effet « élément inséré dans un ensemble », et par dérivation « incrustation, mosaïque, marqueterie ».

31 – C’est ce que laisse entendre Mario Praz quand il déclare : « Parce que les règles de la devise furent fixées avec une rigueur académique en Italie tandis que l’emblème se développa relativement libre de préceptes de l’autre côté des Alpes, on pourrait dire que la devise est à l’emblème comme le genre classique au genre romantique, comme la forme close à la forme ouverte, selon la célèbre thèse de Wölfflin. À l’étranger cependant les deux genres furent souvent confondus… » (Studi sul concettismo, éd. Florence 1946, p. 98).